La musique en mouvements
Horizon 2030

La sobriété comme suffisance intensive

L’exemple de la musique

Par Alexandre Monnin, Nathan Ben Kemoun
Publié le 23 mars 2022
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Alexandre Monnin est philosophe, directeur du Master of Science (MSc) Strategy and design for the Anthropocene (ESC Clermont Business School-Strate École de design Lyon), directeur scientifique d’Origens Media Lab, cofondateur de l’initiative Closing Worlds, enseignant-chercheur en école de management (ESC Clermont Business School) et membre du GDS EcoInfo, du conseil d’administration de l’association La 27e région, du conseil scientifique de CY École de design et de Strate École de design.

Nathan Ben Kemoun est doctorant en sciences de gestion à l’université Paris-Dauphine. Ses travaux de recherche interrogent l’anthropocène sous l’angle du corps, du rythme, des gestes et des écologies matérielles. Il explore en particulier les trajectoires de convalescence et de réhabilitation mutuelle des espaces et des corps, dans les démarches de sobriété, à l’échelle des modes d’existence et des parcours de vie.


Résumé

La sobriété intègre de plus en plus de scénarios préparant des trajectoires destinées à maintenir l’habitabilité sur Terre en limitant le réchauffement climatique. Ces perspectives affectent l’industrie musicale actuelle qui dépend à la fois du numérique et du transport (notamment) aérien, deux domaines dont la viabilité est remise en cause. Dans cet article, nous souhaitons explorer un versant complémentaire de la sobriété à côté de la sobriété « extensive » (la diminution de notre empreinte écologique) en distinguant un versant « intensif », synonyme d’enrichissement (dont la nature reste à définir). Nous parlons, pour le qualifier, de « suffisance intensive ». L’exemple de la musique donne corps à cette notion de sobriété intensive et vient nourrir une « économie générale de la sobriété », prélude à une modification profonde de nos modes de vie et de nos milieux.


Introduction

La notion de sobriété renvoie aujourd’hui à l’impératif de diminuer l’empreinte environnementale de nos modes de vie.1Pour un aperçu de la notion, voir notamment le « Panorama sur la notion de sobriété » rédigé par l’Ademe.  A contrario, le découplage fait peser sur l’efficacité des technologies futures le maintien (voire l’amélioration) des conditions de vie dans les pays riches, les mêmes services étant, suppose‑t‑on, rendus à moindre coût grâce à des technologies tendanciellement moins gourmandes. La réalité d’un découplage absolu et suffisant pour respecter les objectifs climatiques dans les temps impartis est cependant remise en cause scientifiquement, pour la simple et bonne raison que le découplage est un concept intrinsèquement « croissanciste » puisqu’il consiste à chercher à croître, au sens économique, tandis que les impacts sociaux et environnementaux seraient parallèlement atténués ou diminueraient (découplage absolu). L’effet‑rebond, en vertu duquel les gains réalisés sont perdus à cause d’un surusage des technologies qui les rendent possibles, n’étant qu’une conséquence de cet état de fait. La sobriété, quant à elle, implique de diminuer à la fois la production et la consommation, sans exclure d’employer à cette fin les technologies les plus avancées pour maintenir (voire généraliser) un mode de vie soutenable et acceptable2Voir en particulier l’important travail de Millward-Hopkins J., Steinberger J. K., Rao N. D. et Oswald Y., « Providing Decent Living with Minimum Energy. A Global Scenario », Global Environmental Change, vol. 65, 2020, en ligne. Dans cet article, les auteurs et autrices expliquent qu’en employant les technologies actuelles dans un cadre qui rompt avec la croissance illimitée (voire la croissance tout court), il est possible de perpétuer et de généraliser un niveau de vie acceptable.. Dès lors, la technologie ne peut plus être le moteur escompté dans une optique de croissance, à l’instar de la croissance verte, dont les avancées résoudraient automatiquement nos problèmes environnementaux.

À compter des années 1990, en France, parler de sobriété consiste principalement à interroger la gouvernance des pratiques, à explorer des leviers de transformation des manières de vivre et de consommer, à interroger les rouages d’une prise de conscience citoyenne, pour des comportements plus responsables et plus modérés : bref, à tenter de canaliser et/ou compresser les conduites consuméristes3Rumpala Y., « La décroissance soutenable face à la question du “comment ?”. Une remise en perspective par les processus de transition et leurs conditions de réalisation », Mouvements, no 59, 2009, p. 157‑167.. À de rares exceptions près, la sobriété fut systématiquement décrite sous les traits du contrôle et de l’autolimitation, souvent à travers l’idée d’une empreinte carbone à alléger et d’une modération à retrouver4À l’instar d’André Gorz : « Produire ce que nous consommons et consommer ce que nous produisons est la voie royale de la sortie du marché : elle nous permet de nous demander de quoi nous avons réellement besoin, en quantité et en qualité, et de redéfinir par concertation, compte tenu de l’environnement et des ressources à ménager, la norme du suffisant que l’économie de marché a tout fait pour abolir. L’autoréduction de la consommation, son autolimitation – le self-restraint – et la possibilité de recouvrer le pouvoir sur notre façon de vivre, passent par là. » Gorz A., « La sortie du capitalisme a déjà commencé (version 1) », repris dans Ecologica, Paris, Galilée, 2008..

Aujourd’hui, la sobriété intègre de plus en plus de scénarios préparant des trajectoires destinées à maintenir l’habitabilité sur Terre en limitant la hausse du réchauffement climatique. Ainsi, le récent rapport du Réseau de transport d’électricité (RTE)5www.rte-france.com/analyses-tendances-et-prospectives/bilan-previsionnel-2050-futurs-energetiques. faisait état d’une réduction attendue de 40 % de la consommation d’énergie finale en France6Même si la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) que reprend ce rapport repose en partie sur des gains d’efficience. Reste que si ceux-ci s’avèrent moindres qu’espérés, comme on peut le penser, le pourcentage de réduction affiché restera le même, et d’autres stratégies devront être déployées pour l’atteindre.. Et ceci ne concerne pas la variante du scénario explicitement qualifiée de sobre (que le RTE a choisi de ne pas détailler et qui le sera cette année). En d’autres termes, de plus en plus d’organismes où s’élaborent les stratégies de demain, « infrapolitiques7La notion d’infrapolitique recouvre le travail de transformation de la société effectué en dehors du cadre politique consacré. Comme l’écrit Ulrich Beck, à qui l’on doit cette expression : « le politique devient apolitique, et ce qui était apolitique devient politique » (Beck U., La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Paris, Flammarion, 2003, p. 405). » selon l’expression d’Ulrich Beck, intègrent la sobriété à la manière d’une variable implicite.

Quel rapport avec la musique ? D’une part, l’industrie musicale est de plus en plus dépendante de plateformes numériques (spécifiquement dédiées à la musique ou à la vidéo en général) dont le modèle économique et la viabilité sont aujourd’hui interrogés du fait de leur empreinte environnementale (sur le versant de la consommation d’énergie ou de ressources)8Freitag C. et al., « The Real Climate and Transformative Impact of ICT. A Critique of Estimates, Trends, and Regulations », Patterns, vol. 2, no 9, 2021, en ligne. Voir également Halloy J., « La numérisation de l’économie est-elle durable ? », La Revue nouvelle, no 4, 2017, p. 54-56, et Monnin A., Halloy J. et Nova N., « Au-delà du low tech : technologies zombies, soutenabilité et inventions. Interview croisée de José Halloy et Nicolas Nova par Alexandre Monnin », dans Low tech. Face au tout-numérique, se réapproprier les technologies, Paris, Ritimo, 2020, p. 120-128. Enfin, on lira le récent avertissement du PDG de Thalès : « CO2 : “Le numérique va connaître la même tempête que le transport aérien” (Patrice Caine, Thalès) », La Tribune, 11 octobre 2021, en ligne.. L’un des usages les plus prégnants de la notion de sobriété au cours des dernières années concerne d’ailleurs la sobriété numérique9Nous renvoyons ici au rapport influent publié par le Shift Project en 2018 et dont Alexandre Monnin fut l’un des contributeurs : Ferreboeuf H. et Efoui-Hess M., « Pour une sobriété numérique », rapport d’un groupe de travail, The Shift Project, 2018, en ligne. Le Shift a d’ailleurs récemment publié son rapport sur la décarbonation de la culture.. D’autre part, en contrepoint de cette évolution, l’industrie et de nombreux artistes ont misé sur les concerts et le contact avec le public pour diversifier leurs revenus. Or, les tournées à l’étranger dépendent du transport aérien, lui‑même de plus en plus critiqué au regard de son coût écologique et du très faible pourcentage de la population mondiale qui en bénéficie. Numérique et transport aérien10Entre autres facteurs. Plusieurs groupes ont réalisé des bilans de leur activité carbone, à l’instar de Tryo en 2008 (et Radiohead, qui y est mentionné) : tryo.com/wp2/wp-content/uploads/2015/10/bilan_carbone_tryo_08.pdf ; de même que des festivals, comme le Climax en 2018 : climaxfestival.fr/wp-content/uploads/2018/11/Rapport-BCO2-Ing-Ocean-Climax-3.2.pdf. Voir également la récente chronique de Greg De Temmerman sur ce sujet, qui cite notamment les récentes prises de position et travaux de Coldplay et Massive Attack : « Concerts : “show must go on”… Mais à quel prix pour la planète ? », Usbek et Rica, 16 septembre 2021, en ligne. Merci à Loïc Giaccone pour ces références. : l’industrie musicale hérite des interrogations qui planent sur ces domaines, sur le plan de la soutenabilité (est‑ce bon pour l’environnement ?) et de la viabilité (ces activités pourront‑elles être maintenues ?) ; sans même parler de la forme qu’ils prennent aujourd’hui et dont les bienfaits pour les artistes et le public pourraient également être mis en doute. Interrogations que l’on peut d’ailleurs étendre aux enjeux de la mobilité en général.

Nous souhaitons ici explorer un versant complémentaire de la sobriété – un versant « intensif » – en des formes alternatives d’investissement des entités matérielles qui nous entourent. Ceci est d’autant plus urgent que la sobriété va s’imposer progressivement, tant du côté de la production que de la consommation, entraînant une modification profonde de nos modes de vie et de nos milieux.

Ce texte entend avant tout poser un problème très générique qu’il peut être intéressant de saisir sous l’angle de la musique. Il s’agit d’un travail exploratoire, afin d’exposer les termes du débat et préfigurer des études plus poussées11Les auteurs remercient en ce sens vivement le Centre national de la musique pour l’impulsion donnée à cette réflexion. Alexandre Monnin remercie également Loïc Giaccone pour sa relecture (sans toutefois lui imputer la responsabilité des propos tenus)..

Vitesse, durée et musique

Tandis que nous sommes en grande majorité de plus en plus productifs et que notre obsession porte principalement sur les deadlines de projets commencés et terminés les uns à la suite des autres, comment ne pas redouter le morcellement des vies, la fragmentation des liens, la discontinuité, l’oubli de soi et d’autrui, en bref des pertes de monde comme de sensibilité ?

À travers la vitesse de nos déplacements et de nos communications, à travers nos échanges en temps réel et notre gestion de l’urgence, nos espaces physiques et psychiques se resserrent, se compressent virtuellement. « Le temps est de plus en plus conçu comme un élément de compression ou même d’annihilation de l’espace. Il semble que l’espace se “contracte” virtuellement par la vitesse des transports et la communication12« Un des plus passionnants débats actuels tourne autour de la vitesse de l’histoire et de la variation de cette vitesse elle-même. Il oppose notamment le courant philosophique (métaphysique, politique, esthétique) qui propose une “économie politique de l’accélération”, aux partisans d’une “écologie politique du ralentissement”, sur lequel Isabelle Stengers insiste de plus en plus, et qui se déploie dans des thèmes qu’elle a en commun avec Latour, tels ceux de l’“hésitation”, de l’“attention”, de la “diplomatie” et de la nécessité de “faire place aux autres”. » Danowski D. et Viveiros de Castro E., « L’arrêt de monde », dans B. Latour et É. Hache (dir.), De l’univers clos au monde infini, Bellevaux, Éditions Dehors, 2014, p. 221‑339 ; Rosa H., Aliénation et accélération, Paris, La Découverte, 2012.. »

Les choses que nous possédons, nous ne savons plus pourquoi nous les avons achetées, n’ayant ni le temps d’en prendre soin ni la disponibilité d’en faire un usage réel : « trop de choses, en succession trop rapide, équivalent à un aller simple dans la poubelle », écrit Jane Bennett13Bennett J., « The force of things. Steps toward an ecology of matter », Political Theory, vol. 32, no 3, 2004, p. 347‑372 («too much stuff in too quick succession equals the fast ride from object to trash»).. C’est le phénomène des « backlogs » dans le domaine du jeu vidéo, ces jeux qui s’accumulent à un rythme toujours plus soutenu, que les joueurs doivent se résoudre à collectionner faute de pouvoir y jouer. En témoignent également des plateformes comme YouTube où est déposée chaque jour une telle quantité de musique et de vidéos qu’une vie entière ne suffirait pas à les écouter/visionner toutes14En 2019-2020, il était fait état de 500 heures déposées chaque minute sur la plateforme. Soit 30 000 ans par jour.. L’artiste Gregory Chatonsky compare d’ailleurs cette multiplication des données en ligne à un tombeau ou un mausolée engendré par une humanité contemplant sa possible extinction15Nous renvoyons aux textes publiés sur chatonsky.net/category/journal..

Aujourd’hui, l’industrie musicale fait corps avec d’autres secteurs dont la viabilité est mise en doute. Qu’il s’agisse du numérique, dont le poids et la voracité énergétique sont de plus en plus soulignés, ou de l’aviation indispensable à certaines tournées, il convient de resituer l’industrie musicale dans un paysage en profonde évolution dont il serait illusoire de penser qu’elle n’en sortira pas profondément transformée. Il faut à cet égard distinguer les secteurs que constituent le numérique et le transport aérien, dont elle dépend directement, des dynamiques plus vastes (réduction de la consommation d’énergie, arbitrage au niveau des usages, pression sur les ressources) qui pèseront de manière croissante sur l’ensemble des activités. Comme l’indique Emmanuel Bonnet, les organisations, dans l’Anthropocène, sont assimilables à des stations de ski de basse et moyenne altitudes, confrontées à des scénarios où leur disparition n’est plus impossible mais probable, quand elle n’est pas certaine. C’est également vrai de filières et d’industries toutes entières.

Arrêtons‑nous quelques instants sur le paradoxe de la consommation musicale. Si l’on s’accorde à dire que celle‑ci s’effectue essentiellement au moyen de dispositifs numériques, il faudra certes s’accorder sur le fait que ceux‑ci n’ont jamais été aussi efficients. Nos machines n’ont jamais consommé aussi peu d’énergie pour chaque calcul effectué. Et pourtant, cette logique d’efficacité est victime de l’effet‑rebond16Voir la définition donnée sur le site du GDS EcoInfo (CNRS) : ecoinfo.cnrs.fr/article360.html., bien connu désormais, qui veut que le nombre absolu de calculs opérés dépasse de beaucoup les économies permises par l’augmentation des performances de nos machines. Qui plus est, l’accroissement de l’offre (la facilitation des accès aux contenus musicaux, y compris leur duplication, par le regroupement autour d’un nombre limité de plateformes) ne correspond à aucun souci d’économie. L’efficacité ne se limite ni aux transistors ni aux microprocesseurs, elle n’est en aucun cas la logique immanente des plateformes (de ce point de vue, le gigantisme des jeux vidéo contraste avec la miniaturisation des composants matériels de nos terminaux).

Aussi la consommation de musique est‑elle devenue un dispositif bien plus coûteux que la pratique musicale17La notion de coût pose la question de l’échelle analysée. Si l’on intègre les dispositifs d’écoute (téléphone, ordinateurs), ceux-ci sont effectivement multifonctions, et non dédiés intégralement à la musique. À l’inverse, il ne s’agit pas d’équiper 1 000 personnes qui écoutent de la musique sur Spotify de 1 000 guitares électriques. Toutefois, le téléphone est un dispositif personnel sensible, véritable prolongement de l’identité de son détenteur (le déploiement des pass, sanitaires ou vaccinaux, en témoigne). Tandis que les instruments se prêtent plus facilement…. Si l’on considère leurs instrumentations respectives, l’écoute et la pratique sont peut‑être plus éloignées qu’elles ne l’ont jamais été, malgré les possibilités techniques offertes par le numérique qui démocratisent les pratiques de création. Mais de même que le web dit « 2.0 », synonyme de participation, a laissé place à un web de plateformes oligopolistiques, de même la production de contenus, loin de nourrir une économie renouvelée par la contribution, alimente avant tout une économie de la consommation.

Les instruments de musique traditionnels accusent un contraste chaque jour plus élevé face à ces dispositifs. Les seconds évoluent au jour le jour en suivant de près les « progrès » techniques, ce qui n’est pas le cas des premiers. Ce déphasage croissant crée une coupure technologique que l’on pourra qualifier de différentes façons : opposition entre high‑tech et low‑tech, technologies zombies et technologies vivantes18Monnin A., Halloy J. et Nova N., « Au-delà du low tech », art. cité ; Arnoux M., Goupil C., Halloy J. et Herbert É. « Trois questions à… Mathieu Arnoux, Christophe Goupil, José Halloy et Éric Herbert sur le Laboratoire interdisciplinaire des énergies de demain (LIED) », Lettre de l’INSHS, novembre 2020, en ligne ; Bonnet E., Landivar D. et Monnin A., Héritage et fermeture. Une écologie du démantèlement, Paris, Divergences, 2021. (pour certains instruments du moins), technologies conviviales et boîtes noires, etc.

On notera par ailleurs une différence avec les instruments numériques qui sont davantage des outils de production musicale (le résultat produit – l’œuvre – étant conservé dans des formats partageables) que des instruments destinés à jouer de la musique (sans que l’inscription découle de l’usage direct de l’instrument, ce qui n’est pas le cas des partitions par exemple). Il faut donc distinguer une pratique productive (une pratique produisant des œuvres) d’une pratique de l’ordre du geste (un geste qui ne s’enregistre pas par défaut). Le rôle de la répétition diffère fondamentalement d’un cas à l’autre. Si chacune de ces deux pratiques est instrumentée, la pratique productive est télique, soumise à une finalité qui lui est extérieure, à savoir « l’œuvre » (ou la marchandise) créée. En revanche, la pratique ludique, associée au jeu, est fondamentalement répétitive. Elle ne s’épuise pas dans un résultat détachable, et le plaisir qu’elle suscite lui est immanent.

Bien sûr, cette distinction comprend des zones grises : la musique produite à partir de dispositifs numériques possède des aspects répétitifs et peut en outre s’inscrire dans une démarche ludique. Reste que le rôle joué par l’enregistrement et les circuits sur lesquels ces deux types d’instruments sont branchés diffèrent grandement (le concert enregistré d’un DJ électronique pourra se retrouver directement sur une plateforme, alors qu’il faudra capter une performance analogique pour l’y poster).

La pratique ludique s’apparente au livre que l’on relit sans en épuiser le sens et les significations. Comme l’indique Pierre Bayard : « Notre relation aux livres n’est pas ce processus continu et homogène dont certains critiques nous donnent l’illusion, ni le lieu d’une connaissance transparente de nous‑mêmes, mais un espace obscur hanté de bribes de souvenirs, et dont la valeur, y compris créatrice, tient aux fantômes imprécis qui y circulent. […] notre mémoire des livres, et surtout de ceux qui ont compté au point de devenir des parties de nous‑mêmes, est sans cesse réorganisée par notre situation présente et ses enjeux inconscients19Bayard P., Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?, Paris, Minuit, 2007. ». On reconnaît cette idée dans la figure du livre qui contient tous les autres livres et que rien, par conséquent, n’épuise en principe, ou dans la plaisanterie : « on m’a offert un livre à Noël, mais j’en avais déjà un ». Sous son apparente absurdité, elle témoigne, comme souvent, d’une remarquable profondeur. La boutade est parfois présentée comme émanant de personnes « peu éduquées », n’ayant pas le « goût » des livres. C’est en réalité la distinction purement numérique entre les deux livres qui témoigne d’une conception parfaitement philistine. Après tout, si chaque livre ouvre sur une infinité de lectures, alors un seul suffit en effet. Deux, c’est presque trop… « Presque », mais pas tout à fait, car il ne s’agit pas encore d’un infini en extension, à côté d’un autre infini, en intension, comme on le verra.

Les gestes ludiques qui accompagnent la pratique musicale participent de la confection ordinaire des mondes que nous habitons20La grande différence entre ces gestes « ludiques » et la pratique musicale à visée marchande tient, pour parler comme Bernard Stiegler, à la déprolétarisation qui s’opère au moyen des premiers. Autrement dit, la capacité à se réapproprier le geste musical et son monde. Cette réappropriation, ici, tient moins à la capacité de produire techniquement un contenu (à l’instar des figures du pro-am ou du prosumer, mises en valeur il y a quinze ans dans le sillage du web 2.0) que sa circulation (et sa monétisation), aujourd’hui assurée en majorité par des plateformes de plus en plus centralisées qui captent la valeur ainsi produite. Dans la perspective ludique que nous avançons, la question de la valeur du geste est déplacée hors du circuit de marchandisation qu’imposent l’instrumentation et la mise en marché (la plateformisation) rendues possibles par le numérique.. La diversité, la profondeur et la qualité de ces gestes entretiennent, réparent et reconstituent continuellement les modes de présence et d’attention requis pour l’essor de chacun. Ce sont ces gestes d’entretien, plus encore que les espaces ou les agencements matériels eux‑mêmes, qui génèrent un sentiment de sécurité, de continuité, notamment par la répétition, et d’accompagnement pour les habitants temporaires ou permanents d’un lieu. Si les espaces sont « actifs », c’est d’abord et surtout dans la mesure où ils sont agis et transformés par les personnes qui en prennent soin et les amènent « ailleurs ».

Dans le contexte de l’accélération des technologies, du changement social et des rythmes de vie, ces gestes entretiennent la vitalité matérielle des lieux dans lesquels des liens et des désirs prennent le temps de rencontrer leur forme et d’inscrire leur mouvement dans la matière, la mémoire et la durée21« Objects create a bridge of trust to a durable world and anchor the future to the past » (Cherrier H., « Custodian behavior. A material expression of anti‐consumerism », Consumption Markets and Culture, vol. 13, no 3, 2010, p. 259‑272)..

Comme l’écrit Murray Bookchin : « La qualité et la beauté remplaceront l’obsession actuelle de la quantité et de la standardisation, la recherche de la durabilité remplacera celle de l’obsolescence ; au lieu de la valse saisonnière des styles, on appréciera les objets que l’on soigne et à travers lesquels on goûte la sensibilité singulière d’un artiste ou d’une génération. […] les êtres humains pourront redécouvrir le charme d’une vie matérielle simple, désencombrée, et comprendre à nouveau ce que signifient des objets qui existent pour l’être humain par opposition avec ces objets qu’on nous impose22Bookchin M., Vers une technologie libératrice, trad. par H. Arnold et D. Blanchard, Paris, Librairie Parallèles, 1974.. »

La suffisance intensive

« Plus intra », proclame Bruno Latour par contraste avec la devise de l’empereur Charles Quint, « plus ultra » (dans sa version latine)23Latour B., Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique, Paris, La Découverte, 2015.. Nous comprenons cette maxime comme une exhortation à nous préparer à une intensification non matérielle de notre mode de vie, c’est‑à‑dire, à sa transformation totale selon des voies qui passent complètement au large de n’importe quelle fantaisie prométhéenne ou de maîtrise sur le monde (considéré comme l’Autre de l’humanité). Il est grand temps de transformer l’enkrateia, la maîtrise de soi‑même, en un projet collectif de recivilisation (« civiliser les pratiques modernes »). Autrement dit, de faire de la sobriété un enjeu non plus infrapolitique ou individuel, mais bien politique au sens absolu du terme. Projet que l’un des auteurs du présent essai a appelé ailleurs la « suffisance intensive24Voir Origens Medialab, « Suffisance intensive et usage du plaisir – Nathan Ben Kemoun », YouTube, 10 juin 2021, en ligne. L’expression est également employée sous la plume de Viveiros de Castro et Danowski (op. cit.) : « Tout comme un jour nous avons eu horreur du vide, nous ressentons aujourd’hui une répugnance à penser le ralentissement, la régression, la limitation, la décroissance, la descente, la suffisance. Toute chose qui rappelle un mouvement vers une suffisance intensive de monde (plutôt qu’un dépassement épique de “limites” à la recherche d’un super-monde) est très vite accusée de localisme naïf, de primitivisme, d’irrationalisme, de mauvaise conscience, de sentiment de culpabilité, voire d’être une expression de tendances fascisantes. Pour quasiment toutes les formes assumées par la pensée aujourd’hui dominante parmi “nous”, une direction seulement est pensable et souhaitable, celle qui mène du “négatif” au “positif” : du moins au plus, de la possession de peu à la propriété de trop, de la “technique de subsistance” à la “technologie de pointe”, du nomade paléolithique au citoyen cosmopolite moderne, de l’Indien sauvage au travailleur civilisé. » Tout l’enjeu ici est de penser la suffisance intensive depuis le point de vue d’une économie politique de la sobriété qui s’impose au sein de nos milieux de vie et non à partir de l’appropriation forcément problématique de la figure de l’autochtone. Pour une critique de cette perspective, voir en particulier Chandler D. et Reid J., Becoming Indigenous. Governing Imaginaries in the Anthropocene, Lanham, Rowman and Littlefield, 2019. ».

Une suffisante intensive dans la mesure où il s’agit de ne plus penser la sobriété sous son jour uniquement extensif, et par conséquent diminutif. Sous cet aspect en effet, la sobriété renvoie comme il est d’usage à une forme de contraction. Il ne s’agit pas de nier cette tendance, on l’a vu, de plus en plus intégrée à nos scénarios, bien que le débat politique n’en marque pas le reflet, pas plus que les projections des industriels. Le temps est encore aux contradictions telles que la vente de SUV, à l’heure où les règlements limitant la circulation des voitures se multiplient25Cette cohabitation entre des temps asynchrones étant déjà en soi une avancée, les contradictions ne sont plus seulement des contre-projets de société, ce sont en réalité les pointes avancées de ces tendances infra-politiques décrites en introduction et qu’il n’est pas encore possible de placer au centre du débat, car les transformations qu’elles exigent sont à peine préfigurées..

Toutefois, si le renoncement est bien au cœur de la sobriété, sous son jour extensif, reste que la dimension intensive de la suffisance, qui en constitue le pendant, a vocation à accueillir des pratiques d’enrichissement. La pratique musicale (ludique) ouvre ainsi sur une répétition potentiellement infinie. C’est bien un infini en intensité et non en extension, d’infini enté sur des infrastructures sobres sur le plan extensif (énergétique et matériel), qu’il s’agit de penser et d’inventer.

En ce sens, la suffisance intensive a vocation à déplacer ou à réaffecter la recherche d’infini de la sphère extensive vers la sphère intensive (le passage de la production au jeu, en matière musicale, s’inscrit dans cette perspective). Il ne faut pas y voir une remise en cause ou une négation de la nécessité de fermer ou de « destaurer » (par opposition à instaurer) certaines activités ou infrastructures, caractéristique d’une sobriété assumée, mais bien la reconnaissance que cette tendance ne touche pas toutes les dimensions de l’existence. Mieux, pour être acceptables, les efforts exigés, qui restent à ce jour difficilement concevables, devront non seulement être répartis équitablement (c’est tout l’enjeu de la justice sociale sise au cœur de la justice environnementale), mais aussi s’articuler à un enrichissement corrélatif, requérant lui‑même des aménagements radicaux.

Alors, l’impératif de sobriété est-il réellement compatible, outre leur fonctionnement matériel, avec la captation de l’attention à laquelle se livrent les plateformes numériques ? S’il est de plus en plus question du démantèlement de Facebook par exemple, l’économie générale de la sobriété, ce facteur invisibilisé de toutes les politiques mises en place à l’heure actuelle et pour les décennies à venir, devra être pensé du point de vue de ses conditions de possibilité. Il faut donc distinguer, à côté des arbitrages « extensifs », qui touchent aux ressources et à l’énergie, d’autres arbitrages, « intensifs » cette fois, pour faire droit à cette économie générale de la sobriété de manière qu’elle ne demeure pas un paramètre purement nominal des scénarios prospectifs. Or, concernant ce dernier point, tel ne sera vraisemblablement pas le cas, il faudra donc penser de nouvelles formes d’adaptation à la sobriété, elle-même comprise comme un facteur majeur des dispositions d’atténuation du changement climatique.

Conclusion

Nous proposons, à l’issue de ce rapide tour d’horizon, de distinguer deux aspects complémentaires de la sobriété : une sobriété fidèle à son nom, évoquant le renoncement et la frugalité matérielle. Cette sobriété ainsi entendue se déploie selon des coordonnées extensives. Son complément, la suffisance intensive, se déploie quant à elle selon de tout autres coordonnées, intensives cette fois. Elle marque la reprise de l’infini sous la forme de répétitions qu’aucun résultat extrinsèque n’épuise. La lecture, tout comme le fait de jouer d’un instrument de musique, en sont les illustrations paradigmatiques. La sobriété, dont nous avons noté le rôle croissant dans les projections pour limiter le réchauffement climatique à venir, et qui exercera une influence majeure sur les politiques des prochaines décennies, demeure un facteur peu débattu et pourtant de plus en plus mobilisé. Par conséquent, elle se pose comme une contrainte inapparente qui ne manquera cependant pas de remettre en cause la trajectoire de très nombreuses activités. À côté des limitations induites par la sobriété en extension, nous attirons l’attention sur les conditions à mettre en œuvre pour que puissent se déployer la suffisance intensive, conditions que nous avons désignées sous l’expression d’« économie générale de la sobriété26Nous choisissons à dessein le mot « économie », car, comme l’indique Bruno Maresca, « [l]a transition écologique (et énergétique) peut être pensée selon deux voies qui sont aujourd’hui en débat : l’une technologique, qui pourrait accélérer le verdissement de l’économie, l’autre sociétale, qui en appelle à une révolution comportementale, par la sobriété. On dit souvent que ces deux voies peuvent/doivent être pensées de manière complémentaire. En réalité, “sans révolution structurelle du système socio-économique, et par voie de conséquence du mode de vie, il n’y aura pas transition” [nous soulignons]. Se produira, au mieux, la poursuite des adaptations correctrices assurées, pour chaque Nation, par l’État qui, depuis un demi-siècle, gère les externalités négatives d’un système de production, par ailleurs de plus en plus mondialisé » (Maresca B., « Mode de vie : de quoi parle-t-on ? Peut-on le transformer ? », La Pensée écologique, vol. 1, no 1, 2017, p. 233-251). ». Tant la sobriété en extension que la suffisance intensive demandent une instrumentation idoine (une « organologie » aurait dit Bernard Stiegler) pour recréer des milieux viables. Il nous apparaît que la pratique musicale, au‑delà de son devenir industriel qui tend aujourd’hui à masquer les dynamiques que nous avons décrites, peut et doit jouer un rôle de premier plan dans l’instrumentation de la suffisance intensive et, à travers elle, dans la définition d’une nécessaire économie générale de la sobriété.

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    Pour un aperçu de la notion, voir notamment le « Panorama sur la notion de sobriété » rédigé par l’Ademe. 
  • 2
    Voir en particulier l’important travail de Millward-Hopkins J., Steinberger J. K., Rao N. D. et Oswald Y., « Providing Decent Living with Minimum Energy. A Global Scenario », Global Environmental Change, vol. 65, 2020, en ligne. Dans cet article, les auteurs et autrices expliquent qu’en employant les technologies actuelles dans un cadre qui rompt avec la croissance illimitée (voire la croissance tout court), il est possible de perpétuer et de généraliser un niveau de vie acceptable.
  • 3
    Rumpala Y., « La décroissance soutenable face à la question du “comment ?”. Une remise en perspective par les processus de transition et leurs conditions de réalisation », Mouvements, no 59, 2009, p. 157‑167.
  • 4
    À l’instar d’André Gorz : « Produire ce que nous consommons et consommer ce que nous produisons est la voie royale de la sortie du marché : elle nous permet de nous demander de quoi nous avons réellement besoin, en quantité et en qualité, et de redéfinir par concertation, compte tenu de l’environnement et des ressources à ménager, la norme du suffisant que l’économie de marché a tout fait pour abolir. L’autoréduction de la consommation, son autolimitation – le self-restraint – et la possibilité de recouvrer le pouvoir sur notre façon de vivre, passent par là. » Gorz A., « La sortie du capitalisme a déjà commencé (version 1) », repris dans Ecologica, Paris, Galilée, 2008.
  • 5
  • 6
    Même si la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) que reprend ce rapport repose en partie sur des gains d’efficience. Reste que si ceux-ci s’avèrent moindres qu’espérés, comme on peut le penser, le pourcentage de réduction affiché restera le même, et d’autres stratégies devront être déployées pour l’atteindre.
  • 7
    La notion d’infrapolitique recouvre le travail de transformation de la société effectué en dehors du cadre politique consacré. Comme l’écrit Ulrich Beck, à qui l’on doit cette expression : « le politique devient apolitique, et ce qui était apolitique devient politique » (Beck U., La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Paris, Flammarion, 2003, p. 405).
  • 8
    Freitag C. et al., « The Real Climate and Transformative Impact of ICT. A Critique of Estimates, Trends, and Regulations », Patterns, vol. 2, no 9, 2021, en ligne. Voir également Halloy J., « La numérisation de l’économie est-elle durable ? », La Revue nouvelle, no 4, 2017, p. 54-56, et Monnin A., Halloy J. et Nova N., « Au-delà du low tech : technologies zombies, soutenabilité et inventions. Interview croisée de José Halloy et Nicolas Nova par Alexandre Monnin », dans Low tech. Face au tout-numérique, se réapproprier les technologies, Paris, Ritimo, 2020, p. 120-128. Enfin, on lira le récent avertissement du PDG de Thalès : « CO2 : “Le numérique va connaître la même tempête que le transport aérien” (Patrice Caine, Thalès) », La Tribune, 11 octobre 2021, en ligne.
  • 9
    Nous renvoyons ici au rapport influent publié par le Shift Project en 2018 et dont Alexandre Monnin fut l’un des contributeurs : Ferreboeuf H. et Efoui-Hess M., « Pour une sobriété numérique », rapport d’un groupe de travail, The Shift Project, 2018, en ligne. Le Shift a d’ailleurs récemment publié son rapport sur la décarbonation de la culture.
  • 10
    Entre autres facteurs. Plusieurs groupes ont réalisé des bilans de leur activité carbone, à l’instar de Tryo en 2008 (et Radiohead, qui y est mentionné) : tryo.com/wp2/wp-content/uploads/2015/10/bilan_carbone_tryo_08.pdf ; de même que des festivals, comme le Climax en 2018 : climaxfestival.fr/wp-content/uploads/2018/11/Rapport-BCO2-Ing-Ocean-Climax-3.2.pdf. Voir également la récente chronique de Greg De Temmerman sur ce sujet, qui cite notamment les récentes prises de position et travaux de Coldplay et Massive Attack : « Concerts : “show must go on”… Mais à quel prix pour la planète ? », Usbek et Rica, 16 septembre 2021, en ligne. Merci à Loïc Giaccone pour ces références.
  • 11
    Les auteurs remercient en ce sens vivement le Centre national de la musique pour l’impulsion donnée à cette réflexion. Alexandre Monnin remercie également Loïc Giaccone pour sa relecture (sans toutefois lui imputer la responsabilité des propos tenus).
  • 12
    « Un des plus passionnants débats actuels tourne autour de la vitesse de l’histoire et de la variation de cette vitesse elle-même. Il oppose notamment le courant philosophique (métaphysique, politique, esthétique) qui propose une “économie politique de l’accélération”, aux partisans d’une “écologie politique du ralentissement”, sur lequel Isabelle Stengers insiste de plus en plus, et qui se déploie dans des thèmes qu’elle a en commun avec Latour, tels ceux de l’“hésitation”, de l’“attention”, de la “diplomatie” et de la nécessité de “faire place aux autres”. » Danowski D. et Viveiros de Castro E., « L’arrêt de monde », dans B. Latour et É. Hache (dir.), De l’univers clos au monde infini, Bellevaux, Éditions Dehors, 2014, p. 221‑339 ; Rosa H., Aliénation et accélération, Paris, La Découverte, 2012.
  • 13
    Bennett J., « The force of things. Steps toward an ecology of matter », Political Theory, vol. 32, no 3, 2004, p. 347‑372 («too much stuff in too quick succession equals the fast ride from object to trash»).
  • 14
    En 2019-2020, il était fait état de 500 heures déposées chaque minute sur la plateforme. Soit 30 000 ans par jour.
  • 15
    Nous renvoyons aux textes publiés sur chatonsky.net/category/journal.
  • 16
    Voir la définition donnée sur le site du GDS EcoInfo (CNRS) : ecoinfo.cnrs.fr/article360.html.
  • 17
    La notion de coût pose la question de l’échelle analysée. Si l’on intègre les dispositifs d’écoute (téléphone, ordinateurs), ceux-ci sont effectivement multifonctions, et non dédiés intégralement à la musique. À l’inverse, il ne s’agit pas d’équiper 1 000 personnes qui écoutent de la musique sur Spotify de 1 000 guitares électriques. Toutefois, le téléphone est un dispositif personnel sensible, véritable prolongement de l’identité de son détenteur (le déploiement des pass, sanitaires ou vaccinaux, en témoigne). Tandis que les instruments se prêtent plus facilement…
  • 18
    Monnin A., Halloy J. et Nova N., « Au-delà du low tech », art. cité ; Arnoux M., Goupil C., Halloy J. et Herbert É. « Trois questions à… Mathieu Arnoux, Christophe Goupil, José Halloy et Éric Herbert sur le Laboratoire interdisciplinaire des énergies de demain (LIED) », Lettre de l’INSHS, novembre 2020, en ligne ; Bonnet E., Landivar D. et Monnin A., Héritage et fermeture. Une écologie du démantèlement, Paris, Divergences, 2021.
  • 19
    Bayard P., Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?, Paris, Minuit, 2007.
  • 20
    La grande différence entre ces gestes « ludiques » et la pratique musicale à visée marchande tient, pour parler comme Bernard Stiegler, à la déprolétarisation qui s’opère au moyen des premiers. Autrement dit, la capacité à se réapproprier le geste musical et son monde. Cette réappropriation, ici, tient moins à la capacité de produire techniquement un contenu (à l’instar des figures du pro-am ou du prosumer, mises en valeur il y a quinze ans dans le sillage du web 2.0) que sa circulation (et sa monétisation), aujourd’hui assurée en majorité par des plateformes de plus en plus centralisées qui captent la valeur ainsi produite. Dans la perspective ludique que nous avançons, la question de la valeur du geste est déplacée hors du circuit de marchandisation qu’imposent l’instrumentation et la mise en marché (la plateformisation) rendues possibles par le numérique.
  • 21
    « Objects create a bridge of trust to a durable world and anchor the future to the past » (Cherrier H., « Custodian behavior. A material expression of anti‐consumerism », Consumption Markets and Culture, vol. 13, no 3, 2010, p. 259‑272).
  • 22
    Bookchin M., Vers une technologie libératrice, trad. par H. Arnold et D. Blanchard, Paris, Librairie Parallèles, 1974.
  • 23
    Latour B., Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique, Paris, La Découverte, 2015.
  • 24
    Voir Origens Medialab, « Suffisance intensive et usage du plaisir – Nathan Ben Kemoun », YouTube, 10 juin 2021, en ligne. L’expression est également employée sous la plume de Viveiros de Castro et Danowski (op. cit.) : « Tout comme un jour nous avons eu horreur du vide, nous ressentons aujourd’hui une répugnance à penser le ralentissement, la régression, la limitation, la décroissance, la descente, la suffisance. Toute chose qui rappelle un mouvement vers une suffisance intensive de monde (plutôt qu’un dépassement épique de “limites” à la recherche d’un super-monde) est très vite accusée de localisme naïf, de primitivisme, d’irrationalisme, de mauvaise conscience, de sentiment de culpabilité, voire d’être une expression de tendances fascisantes. Pour quasiment toutes les formes assumées par la pensée aujourd’hui dominante parmi “nous”, une direction seulement est pensable et souhaitable, celle qui mène du “négatif” au “positif” : du moins au plus, de la possession de peu à la propriété de trop, de la “technique de subsistance” à la “technologie de pointe”, du nomade paléolithique au citoyen cosmopolite moderne, de l’Indien sauvage au travailleur civilisé. » Tout l’enjeu ici est de penser la suffisance intensive depuis le point de vue d’une économie politique de la sobriété qui s’impose au sein de nos milieux de vie et non à partir de l’appropriation forcément problématique de la figure de l’autochtone. Pour une critique de cette perspective, voir en particulier Chandler D. et Reid J., Becoming Indigenous. Governing Imaginaries in the Anthropocene, Lanham, Rowman and Littlefield, 2019.
  • 25
    Cette cohabitation entre des temps asynchrones étant déjà en soi une avancée, les contradictions ne sont plus seulement des contre-projets de société, ce sont en réalité les pointes avancées de ces tendances infra-politiques décrites en introduction et qu’il n’est pas encore possible de placer au centre du débat, car les transformations qu’elles exigent sont à peine préfigurées.
  • 26
    Nous choisissons à dessein le mot « économie », car, comme l’indique Bruno Maresca, « [l]a transition écologique (et énergétique) peut être pensée selon deux voies qui sont aujourd’hui en débat : l’une technologique, qui pourrait accélérer le verdissement de l’économie, l’autre sociétale, qui en appelle à une révolution comportementale, par la sobriété. On dit souvent que ces deux voies peuvent/doivent être pensées de manière complémentaire. En réalité, “sans révolution structurelle du système socio-économique, et par voie de conséquence du mode de vie, il n’y aura pas transition” [nous soulignons]. Se produira, au mieux, la poursuite des adaptations correctrices assurées, pour chaque Nation, par l’État qui, depuis un demi-siècle, gère les externalités négatives d’un système de production, par ailleurs de plus en plus mondialisé » (Maresca B., « Mode de vie : de quoi parle-t-on ? Peut-on le transformer ? », La Pensée écologique, vol. 1, no 1, 2017, p. 233-251).
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