Musique et Union européenne
Vers un accompagnement à la hauteur des défis ?
Introduction
Fruit d’un processus de collaboration entre l’Union européenne et la filière musicale entamé en 2015, le dispositif Music Moves Europe a officiellement intégré la base légale du programme Europe créative de l’Union européenne en 2021, présageant la possible naissance d’un authentique outil d’accompagnement sectoriel dans le budget européen. Ce texte retrace le parcours de cette innovation notable de l’action publique européenne et dessine les contours d’un programme de financement ambitieux à destination de la musique dans le futur cadre de financement pluriannuel 2028‑2034 de l’Union européenne.
La musique, sujet tardivement considéré
L’Union européenne, un acteur culturel réticent
D’abord pensée comme vecteur de paix entre vieilles nations belliqueuses, construite comme un projet strictement économique, puis pérennisée comme un cadre légal de facilitation des échanges de biens et services, l’Union européenne a tardivement pris la mesure de l’importance du sujet culturel en tant que créateur de lien et de proximité entre les peuples. C’est au tournant des années 1980 que les premières initiatives concrètes de soutien à la culture voient le jour à l’échelle européenne, mais c’est seulement avec le traité de Maastricht en 1992 que la culture, prévue comme une compétence des États membres soumise aux principes de subsidiarité et de proportionnalité, est inscrite dans l’ordre juridique de l’Union européenne.
Avec la création en 1990 du programme MEDIA, demandé de longue date par les organisations professionnelles de la production audiovisuelle et conçu comme un outil d’aide spécifique aux initiatives transfrontalières dans ce secteur, les institutions de l’Union européenne font entrer la culture européenne dans une nouvelle ère. Désormais sanctuarisée dans les cadres financiers pluriannuels, cette ébauche d’action culturelle permettra à l’UE de soutenir budgétairement les initiatives « à valeur ajoutée européenne » dans les domaines du cinéma et de la télévision. À ce premier instrument, sera rapidement adjoint le programme Culture 2000, permettant d’ouvrir ce soutien à toutes les autres familles de l’art, de la création et des industries culturelles, cependant doté d’un budget moins élevé que celui de l’initiative MEDIA. Et cette situation duale, entre, d’une part, un outil de financement dédié aux secteurs du cinéma et de l’audiovisuel, coconstruit sur mesure avec ses représentants et, d’autre part, un véhicule d’accompagnement moindre et couvrant la totalité des secteurs non audiovisuels, va se cristalliser dans le temps, jusqu’à perdurer encore aujourd’hui.
Quid, dès lors, du soutien de l’Union européenne au secteur de la musique, poids lourd de la création et des industries culturelles et créatives en Europe ? Force est de constater qu’il n’a, depuis, pas existé en tant que tel. C’est en tant que « secteur culturel parmi les autres secteurs culturels » que la filière musicale, malgré un considérable impact économique1Le secteur de la musique contribuait à hauteur de 81,9 milliards d’euros au PIB européen de l’UE-28 en 2019 (« The Economic Impact of Music in Europe », Oxford Economics, novembre 2020), se rapprochant du secteur audiovisuel qui a atteint un pic à 119 milliards la même année (« Rebuilding Europe », EY, janvier 2021). Le secteur de la musique employait par ailleurs 1,3 million de personnes en 2019, soit un total de 25 % supérieur au secteur audiovisuel. et son apport indéniable au soft power européen à travers le monde (et à ce titre, un statut comparable au secteur audiovisuel), a jusqu’aujourd’hui été timidement accompagnée.
Pourtant, qui contesterait à la musique un impact décisif sur le quotidien des Européens ? De Mozart à Stromae en passant par ABBA et Édith Piaf, notre patrimoine musical est d’une richesse inestimable. L’écosystème musical européen est aussi porteur d’un formidable potentiel d’innovation, incarné par des acteurs comme Spotify ou Shazam. Il est un vivier inépuisable de diversité et de création artistique au sein d’un vaste éventail d’esthétiques, de l’opéra au hip‑hop, du fado au black métal norvégien. Il est cependant fragile, comme le prouvent les difficultés passées des maisons de disques face au peer‑to‑peer, les problématiques de concentration internationale des groupes industriels, ou celles plus actuelles et particulièrement criantes du spectacle vivant face à une crise sanitaire qui a durablement bousculé les équilibres économiques. Il est enfin, et surtout, fragmenté en une multitude de territoires particulièrement hétérogènes en ce qui concerne la structuration professionnelle, les tailles de marchés, la pénétration internationale des répertoires ou encore la disponibilité et la comparabilité des données. Face à ces défis, pourquoi, dès lors, se priver du levier de l’accompagnement européen ?
Naissance d’un dialogue
Ce n’est qu’au lendemain de l’adoption du programme Europe créative en 2014 que la Commission européenne ouvre pour la première fois le dossier d’un soutien spécifique au secteur de la musique. La prise de conscience d’un accompagnement différencié des acteurs de la filière s’opère alors autour de deux principes : d’une part, l’idée que durant les quinze années précédentes, avec l’avènement de l’ère du numérique, « la création, la production et la consommation de musique ont fondamentalement été altérées […], laissant présager des changements qui toucheront toutes les autres industries culturelles2Group Report », Office des publications de l’Union européenne, 2016. » ; et, d’autre part, l’identification d’un « besoin, manifesté par le secteur, d’intervention de l’UE en soutien à la créativité, à la diversité et à la compétitivité dans le contexte de la mondialisation3Ibid. ».
Cette prise de conscience va d’abord prendre la forme, modeste mais saluée par les opérateurs de la filière, d’une première table ronde sectorielle organisée par la Commission européenne à Bruxelles, dans les locaux de la mythique salle de concert de l’Ancienne Belgique (ou « AB »). Pour la première fois dans l’histoire de l’action culturelle des institutions européennes, une quarantaine d’organisations jugées les plus représentatives des différentes composantes de la « famille » musicale européenne seront donc invitées par la Commission, les 10 et 11 décembre 2015, à faire part de leurs priorités en termes de politiques publiques. L’exercice, jugé réussi, donnera lieu à trois autres ateliers thématiques organisés au printemps 2016 : « Les données dans le secteur de la musique » ; « Éducation, formation et professionnalisation dans la musique » ; « Mobilité des artistes et circulation des répertoires européens » ; enfin, « Soutenir les start‑up de la musique face à l’évolution des usages ».
Le premier jalon d’une action européenne différenciée pour le secteur musical est alors posé avec la rédaction du « AB Music Working Group Report4Ibid. », dont les recommandations issues des différentes sessions de travail seront présentées officiellement au Midem en juin 2016. Mais à cette bonne volonté affichée sur nombre de sujets clés, comme la perspective d’une action européenne de collecte des données du secteur ou de programmes d’aides spécifiques pour l’export et les tournées, fait défaut un cadre budgétaire et institutionnel ; le rapport ne dresse aucune piste en ce sens, et la Commission est consciente des limites de l’exercice, qui, aussi porteur d’espoir soit‑il, n’offre pas de débouchés d’accompagnement concrets du point de vue budgétaire ou réglementaire.
Le rôle clé du Parlement européen
Le tournant institutionnel vient du Parlement européen, notamment grâce à l’implication décisive de trois députés, Javier Lopez, Bogdan Wenta et Christian Ehler, qui se saisiront du sujet dans le sillage de la présentation du rapport. Tout d’abord, en déposant en avril 2017 un amendement budgétaire pour la mise en œuvre d’une « action préparatoire » largement inspirée des recommandations des groupes de travail de l’AB, et, parallèlement, à travers l’organisation de l’événement « Un programme de financement européen pour la musique » se déroulant dans l’enceinte bruxelloise du Parlement le 28 juin 2017, qui fut l’occasion pour l’intergroupe Industries culturelles et créatives (CCI) du Parlement d’appeler à la mise en œuvre concrète d’un cadre d’accompagnement pensé pour le secteur, sur le modèle du sous‑programme MEDIA5Un article sur l’événement « Un programme de financement européen pour la musique » est disponible sur le site de l’association Impala..
Ces deux initiatives parlementaires vont considérablement accélérer les choses d’un point de vue institutionnel. En effet, l’action préparatoire, qui sera intitulée « Music Moves Europe : soutenir la diversité et le talent dans la musique », votée en novembre 2017, permettra de créer une ligne de financement spécifique à la musique, à côté du programme Europe créative, avec une enveloppe de départ de 1,5 million d’euros. D’autre part, dans le sillage de l’événement organisé par l’intergroupe CCI, une coalition va se former au Parlement européen pour soutenir, dans le cadre des négociations portant sur le programme Europe créative 2021‑2027, l’inclusion d’un dispositif d’accompagnement sur mesure pour la filière musicale. Les premières discussions en ce sens auront lieu au début de l’année 2018, peu avant la soumission par la Commission de sa première proposition de cadre financier pluriannuel 2021‑2027.
De manière inédite depuis la programmation des politiques culturelles par l’Union européenne, la musique est donc devenue, grâce à cette action préparatoire, un sujet distinct, un secteur spécifiquement reconnu. Reste, dès lors, à concrétiser dans les actions cette première esquisse de volonté politique.
Music Moves Europe, vers une politique européenne
La mise en route de Music Moves Europe
Lancée en février 2018 par la Commission européenne, l’action préparatoire Music Moves Europe se concentre dans un premier temps sur trois chantiers principaux : une stratégie européenne pour l’export de la musique6Jacquemet B., Le Gall A., Saraiva N. et al., « Music moves Europe – A European music export strategy. Final report », Office des publications de l’Union européenne, 2020. ; la faisabilité d’un observatoire européen pour la filière7Clarke M., Vroonhof P., Snijders J. et al., « Feasibility study for the establishment of a European Music Observatory. Final report », Office des publications de l’Union européenne, 2020. ; et la cartographie des tendances du marché de la musique et ses besoins de financement8Le Gall A., Jacquemet B., Daubeuf C. et al., « Analysis of market trends and gaps in funding needs for the music sector. Final report », Office des publications de l’Union européenne, 2020., sujets qui feront l’objet d’études officielles rédigées par des consortiums d’organisations sectorielles.
Ces rapports, complétés par des appels à projets ciblés sur des thématiques stratégiques comme la formation professionnelle, le soutien aux lieux de diffusion ou la mise en valeur des contenus européens, vont permettre la mise en place d’un véritable consensus au sein de la filière sur le sujet d’une politique européenne pour la musique, reflété à l’occasion d’un dialogue sectoriel organisé par la Commission les 20 et 21 mai 2019 à Bruxelles9Détails disponibles sur la page dédiée à l’initiative « Music Moves Europe » sur le site de la Commission européenne.. Une dynamique vertueuse se met alors en place, marquée par un engagement accru du secteur dans le sillage de ces projets. Et si la crise du Covid‑19 déstabilise quelque peu le rythme des projets menés en 2020, il est incontestable que l’action préparatoire, renouvelée à trois reprises dans les budgets annuels votés par le Parlement européen, constitue une première étape encourageante dans l’optique de la mise en œuvre d’une architecture de soutien ambitieuse pour la musique à l’échelon européen.
Changement de paradigme du programme Europe créative
Conscient de cette dynamique, le Parlement se mobilise alors pour transformer l’essai et obtenir un support financier approprié pour la musique dans le cadre financier pluriannuel 2021‑2027. La proposition budgétaire initiale de la Commission, qui considère prématuré de proposer un sous‑programme « musique » à part entière, fait cependant mention d’une « action sectorielle » pour la filière, en soulignant la nécessité de se fonder sur les résultats futurs de l’action préparatoire. Dans le cadre des négociations interinstitutionnelles qui débutent dès la fin de l’année 2018, plusieurs propositions d’amendement émanent de la Commission de la culture et de l’éducation (CULT) du Parlement et incitent à aller plus loin, en appelant notamment à apporter « une attention particulière10« Report on the proposal for a regulation of the European Parliament and of the Council establishing the Creative Europe programme (2021 to 2027) and repealing Regulation », Union européenne, no 1295/2013, amendements 11 et 69. » à la musique par rapport aux autres secteurs culturels au sein du sous‑programme Culture d’Europe créative.
Les négociateurs du Parlement se mobilisent ensuite tout au long des négociations budgétaires, marquées par des discussions autour d’un plan de relance massif de l’économie européenne à la suite de la crise du Covid‑19 et par la consolidation de tensions entre États membres interventionnistes et budgétairement plus conservateurs. Malgré une relative réticence des États membres dans le cadre de la phase de négociations interinstitutionnelles, les représentants de la commission CULT parviennent toutefois, dans les derniers jours avant l’adoption des perspectives financières pluriannuelles en décembre 2020, à les convaincre d’intégrer, dans la base légale du programme Europe créative, une mention importante : le nécessaire soutien ciblé à plusieurs secteurs clés, « notamment la musique » (seul secteur culturel mis en avant de la sorte dans les dispositions de l’article11Règlement (UE) 2021/818 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2021 établissant le programme « Europe créative » (2021 à 2027) et abrogeant le règlement (UE) no 1295/2013.). Cette disposition, si elle peut apparaître limitée, ouvre cependant un espace nouveau, et donne une latitude inédite à la Commission pour tester de nouveaux instruments de soutien pérennes à travers l’action sectorielle pour la musique au sein du programme.
Prenons ici la mesure des choses : en l’espace de cinq années, ce qui représente une période relativement courte au regard du fonctionnement de l’Union européenne, la musique en tant qu’objet politique est passée d’une absence de statut à un cadre d’accompagnement ad hoc, certes modeste mais inédit, puis à une prise en compte spécifique dans le règlement budgétaire de l’Union. Ce changement de paradigme augure‑t‑il l’avènement d’un authentique programme de financement dans les années à venir ?
Cap sur un sous‑programme Musique ?
Une marge de manœuvre d’ici 2027
Dans le sillage des avancées institutionnelles mentionnées plus haut, l’année 2021 est marquée par trois innovations dans l’action européenne au service du secteur de la musique.
D’abord, dans le cadre de la troisième et dernière année de déploiement budgétaire de l’action préparatoire Music Moves Europe, la Commission a confié à un groupement mené par le European Music Council le soin de tester de nouveaux outils de financement, qui devront à terme alimenter les programmes de travail annuels d’Europe créative et constituer la colonne vertébrale de l’action sectorielle pour la musique. Ce laboratoire d’aides se concentre sur trois thématiques : la transition écologique, l’innovation technologique et le concept de résilience du secteur. Simultanément, la Commission doit ouvrir, par le biais de l’action sectorielle du programme, des appels à projets spécifiques sur des sujets tels l’export et la coopération entre lieux de diffusion. Une enveloppe de 4,5 millions d’euros est déjà prévue à cet effet pour l’année budgétaire 2022. Ces différents appels permettent d’envisager jusqu’en 2027 un soutien financier solide, ciblé et rythmé à destination d’une grande variété d’acteurs.
Ensuite, l’action sectorielle sera l’occasion de sanctuariser, dans la période qui s’ouvre, un « dialogue structuré » entre la Commission et les organisations représentatives de la filière, sur le modèle de l’événement ponctuel organisé en 2019. Ce cadre de discussion fera l’objet d’un premier appel à propositions 2022. Il rendra possible la perpétuation, jusqu’aux prochaines négociations sur les programmes 2028‑2034, de la dynamique vertueuse déjà largement engagée avec les acteurs de la filière dans l’optique de la construction d’un véritable sous‑programme pour la musique. Pensé sur le modèle du European Film Forum12Détails disponibles sur la page dédiée au European Film Forum sur le site de la Commission européenne., outil plébiscité par les acteurs de l’audiovisuel, ce dialogue indique la volonté de la Commission de pérenniser les discussions de fond avec le secteur sur la forme et l’ambition du futur soutien européen à la musique.
Enfin, parallèlement à ces initiatives, la Commission a également lancé en 2021, à travers le programme de recherche Horizon Europe, un appel à propositions ayant pour objectif de reprendre et étendre les travaux initiés à travers l’étude de faisabilité sur un observatoire européen de la musique. La marge de manœuvre budgétaire nécessaire pour le déploiement pérenne d’un tel outil sectoriel de collecte et d’analyse de données n’étant, de l’aveu de la Commission, pas suffisante au sein du programme Europe créative à ce stade, il a été décidé de s’aider de la voilure financière bien plus substantielle du programme Horizon Europe pour continuer les travaux en ce sens. Une proposition d’observatoire, piloté par l’UE et financé par d’autres lignes qu’Europe créative au sein du budget de l’UE, pourrait donc émaner de cet appel dans les années à venir. Une telle initiative, si elle voyait le jour, permettrait au secteur de la musique de se doter d’un précieux instrument de cartographie de ses besoins dans le cadre de la réflexion autour de la mise en place d’un futur sous‑programme pour la musique.
Europe créative 2028‑2034
Ce mouvement vertueux, s’il a pu connaître quelques retards et points de friction (notamment en raison des doutes de certains États membres sur l’opportunité de continuer l’intégration culturelle européenne), a tout de même permis de constituer un terreau favorable pour un soutien financier au secteur de la musique. Du statut de simple secteur artistique non audiovisuel au sein du volet « culture » d’Europe créative en 2014‑2020, la filière musicale est passée à celui de secteur stratégique, reconnu et différencié au sein même du fondement juridique du programme. Portée par l’élan de l’action préparatoire Music Moves Europe et confortée par les premières pierres posées à l’édifice de l’action sectorielle d’Europe créative, la musique est donc relativement bien armée pour espérer obtenir un sous‑programme ad hoc à l’horizon 2028.
Concrètement, il existe de nombreuses pistes permettant de dessiner les contours de ce futur programme, comme la mise en place, esquissée dans l’étude menée dans le cadre de l’action préparatoire, d’une stratégie européenne pour l’export de la musique ; mais aussi le déploiement d’outils sur mesure voués à soutenir les lieux de diffusion, à l’éducation et à la formation professionnelle, à l’innovation technologique ou à la transition écologique ; ou encore le possible développement d’un observatoire de la musique. Ces enjeux, qui font l’objet d’une forte demande d’accompagnement de la part du secteur (encore renforcé eu égard à la crise sanitaire), sont non seulement juridiquement adaptés à une prise en charge au niveau européen (ils peuvent être pris en charge par l’Union européenne en vertu du principe de subsidiarité), mais offrent également une incontestable économie d’échelle s’ils sont traités à l’échelle de 27 États membres plutôt que séparément. À titre d’exemple, il suffit d’imaginer les bénéfices d’une mutualisation et d’une standardisation des outils de collecte et d’analyse de données sur le secteur au sein d’un observatoire européen, en lieu et place d’un enchevêtrement d’indicateurs, de méthodes et de définitions non comparables dans chaque pays ; ou encore ceux d’une coordination européenne des ressources financières à l’export, notamment sur les marchés émergents, pour remédier à la juxtaposition de stratégies nationales parfois trop modestes pour exister hors des frontières de l’UE, et dont les bénéfices semblent encore plus évidents après presque deux ans de fermeture quasi continue des frontières.
Nous l’avons vu, un modèle efficace de soutien sectoriel européen existe déjà au sein d’Europe créative, incarné par le sous‑programme MEDIA pour l’audiovisuel13Détails disponibles sur le site dédié au programme MEDIA de l’Union européenne.. Décliné en une dizaine de lignes de financement faisant l’objet d’appels réguliers, cet outil permet à toute la chaîne de valeur du secteur (producteurs, agents, formateurs, diffuseurs, distributeurs, festivals, etc.) de bénéficier de financements fléchés et pérennes, d’espaces de dialogue sectoriel et d’opportunités de mise en réseau. Le succès de MEDIA depuis plusieurs décennies a largement démontré l’opportunité d’un soutien sectoriel différencié, et l’étendue des sujets pouvant être couverts en transposant un tel modèle à la musique (export, connaissance, circulation, transition écologique, etc.) permet d’imaginer la valeur ajoutée d’une telle mesure. Les différentes composantes du secteur musical sont, par la voix de leurs organisations représentantes actives au niveau européen, largement favorables à la mise en place d’un tel modèle et à l’idée de faire reposer son architecture sur les thématiques couvertes par l’initiative Music Moves Europe.
Une dynamique est donc à l’œuvre, portée par le volontarisme du secteur, l’opportunité d’actions mutualisées dans des domaines clés et le soutien du Parlement européen et de la Commission. Précisons cependant que, sans le soutien politique des 27 États membres au Conseil dans le cadre des futures négociations budgétaires, un tel projet ne saura voir le jour. Un alignement cohérent entre les trois institutions de l’UE sera donc nécessaire pour faire advenir un sous‑programme Musique et, si l’on se réfère au positionnement peu coopératif de certains membres du Conseil à l’occasion des discussions sur Europe créative 2021‑2027, la partie est loin d’être gagnée d’avance. Le secteur aura donc fort à faire, dans les années qui viennent, pour convaincre les États membres de l’opportunité d’une telle évolution structurelle dans l’accompagnement de la musique sur le plan européen. Des actions de plaidoyer ambitieuses seront nécessaires, notamment en prolongeant et en renforçant l’alliance avec le Parlement européen tout en donnant la preuve aux États membres de la valeur ajoutée, du rapport coût‑bénéfice, et de l’effet multiplicateur d’un sous‑programme ad hoc. Le secteur a démontré sa capacité à créer emplois, croissance et innovation technologique, à se réinventer et à s’adapter crise après crise, de l’émergence du téléchargement illégal à la catastrophe sanitaire actuelle, en passant par les conséquences commerciales du Brexit. Il doit désormais renforcer sa présence à Bruxelles et synchroniser ses forces au‑delà de la représentation d’intérêts sectoriels spécialisés, pour œuvrer à un lobbying plus cohérent, imprégné de la notion d’intérêt général. Il sera important de mobiliser tout le spectre des acteurs de la filière dans ce cadre, des syndicats professionnels aux artistes eux‑mêmes, la voix de ces derniers étant plus que jamais présente à l’heure des réseaux sociaux.
Conclusion
La période qui s’ouvre s’annonce, en ce sens, à la fois pleine de promesses et riche en défis politiques, et l’espoir de voir advenir un véritable outil de soutien européen à la musique à l’horizon 2028 est désormais tangible. C’est à l’échelle européenne que la filière musicale pourra répondre aux défis du temps présent et se préparer à ceux qui se dresseront inévitablement devant elle à l’avenir.
- 1Le secteur de la musique contribuait à hauteur de 81,9 milliards d’euros au PIB européen de l’UE-28 en 2019 (« The Economic Impact of Music in Europe », Oxford Economics, novembre 2020), se rapprochant du secteur audiovisuel qui a atteint un pic à 119 milliards la même année (« Rebuilding Europe », EY, janvier 2021). Le secteur de la musique employait par ailleurs 1,3 million de personnes en 2019, soit un total de 25 % supérieur au secteur audiovisuel.
- 2Group Report », Office des publications de l’Union européenne, 2016.
- 3Ibid.
- 4Ibid.
- 5Un article sur l’événement « Un programme de financement européen pour la musique » est disponible sur le site de l’association Impala.
- 6Jacquemet B., Le Gall A., Saraiva N. et al., « Music moves Europe – A European music export strategy. Final report », Office des publications de l’Union européenne, 2020.
- 7Clarke M., Vroonhof P., Snijders J. et al., « Feasibility study for the establishment of a European Music Observatory. Final report », Office des publications de l’Union européenne, 2020.
- 8Le Gall A., Jacquemet B., Daubeuf C. et al., « Analysis of market trends and gaps in funding needs for the music sector. Final report », Office des publications de l’Union européenne, 2020.
- 9Détails disponibles sur la page dédiée à l’initiative « Music Moves Europe » sur le site de la Commission européenne.
- 10« Report on the proposal for a regulation of the European Parliament and of the Council establishing the Creative Europe programme (2021 to 2027) and repealing Regulation », Union européenne, no 1295/2013, amendements 11 et 69.
- 11Règlement (UE) 2021/818 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2021 établissant le programme « Europe créative » (2021 à 2027) et abrogeant le règlement (UE) no 1295/2013.
- 12Détails disponibles sur la page dédiée au European Film Forum sur le site de la Commission européenne.
- 13Détails disponibles sur le site dédié au programme MEDIA de l’Union européenne.