Artistes et entrepreneuriat
Vers de nouvelles formes d’organisation dans la musique

Karine Deshayes – Entretien

Par Karine Deshayes
Publié le 17 octobre 2024
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Sacrée à trois reprises Artiste lyrique de l’année aux Victoires de la musique classique, Karine Deshayes est l’une des plus talentueuses mezzo-sopranos actuelles. Sa carrière internationale la mène depuis 2002 sur les plus grandes scènes dans un répertoire qui mêle l’opéra, le lied et la mélodie. Elle est chevalier de la Légion d’honneur et officier des Arts et des Lettres.


Que vous évoque la notion d’artiste entrepreneur ?  

Spontanément, je pense à tout ce qui est à gérer en dehors de l’aspect artistique, on a plusieurs activités. Quand on voit notre planning de la journée, on se dit qu’il n’y a pas que la musique, il y a tout ce qui gravite autour : les enregistrements, les shootings photo, les rendez-vous avec l’attaché de presse, les agents… Notre journée est multiple. 

Il y a aussi des choses très administratives et très concrètes à gérer en parallèle de nos cours de chant et de nos répétitions avec les pianistes. Par exemple, quand on va voir le comptable, même si c’est lui qui va faire le plus gros du travail, on prépare tout. Heureusement que ma mère était comptable elle-même, elle m’aide beaucoup ! Et c’est compliqué entre ce que l’on gagne à l’étranger, ce que l’on gagne en France, etc. 

Moi, je suis justement dans une « vieille agence artistique » française, qui n’est pas du tout sur les modèles des agences anglophones dont j’ai fait partie à un moment donné, et dans lesquelles il y a le départe- ment comptabilité, le département réservation, etc. Dans nos agences, ils sont deux dans le bureau à gérer 60 artistes. Donc on s’occupe de beaucoup de choses nous-mêmes : nous prenons nos billets de train ou d’avion, nous devons réserver les appartements, etc. Tout cela se gère très à l’avance pour ne pas se retrouver coincé au dernier moment, et ce sont des choses dont les gens ne se doutent pas. On n’a pas de secrétaire ou d’assistant. Quand on côtoie certaines personnes des variétés ou du showbiz, on voit qu’il y a quand même plein d’assistants qui gravitent autour. Nous, on est tout seul. 

À quand remontent les premiers moments de votre carrière où vous avez dû faire par vous-même ? 

Avant de rentrer au CNSM [Conservatoire national supérieur de musique] de Paris, je suis allée à la Sorbonne, j’ai fait une licence de musicologie et, lors de ma dernière année de fac et de ma première année de CNSM, je travaillais au McDonald’s pour payer mes études, mes cours de chant, mes partitions, etc. Je voulais être un peu indé- pendante donc je faisais pas mal d’heures au McDo. Cela m’a beaucoup aidée aussi dans l’organisation de mon planning parce que je faisais les fermetures et ensuite, à huit heures du matin, j’avais un cours à l’autre bout de Paris. Au conservatoire, on avait une production par an que l’on faisait avec orchestre, donc cela nous mettait un pied à l’étrier, nous aidait à prendre conscience de ce que serait notre travail plus tard. Il y avait des chefs invités et on faisait des sessions d’orchestre où on apprenait des ensembles, pas que des airs. C’est comme ça, par exemple, que j’ai fait le final du Barbier de Séville, ce qui m’a aidée après pour ma carrière. Travailler avec un piano c’est une chose, mais travailler avec un orchestre, c’en est une autre, et c’est à cela que notre métier consiste ensuite. 

J’avais aussi de super coachs de langues qui ne nous apprenaient pas simplement la grammaire ou la conjugaison, mais aussi la prononciation, car on peut par exemple très bien parler une langue et commettre des fautes en chantant. Cela nous donne une méthode de travail. Je trouve que c’est très important dans notre formation d’avoir des professionnels qui vont nous aider et nous préparer à la diversité du métier. On ne fait pas que de l’opéra ou de la scène, on peut aussi faire des récitals, de la musique de chambre. Puis, pendant quatre ans, j’ai intégré la troupe de l’Opéra national de Lyon, et là on met vraiment le pied à l’étrier. À l’époque, on était à peu près trente chanteurs attachés à la maison, des très jeunes jusqu’à des gens en fin de carrière qui préféraient être sur place à Lyon plutôt que de bouger tous les deux mois. Pour les spectacles, ce qui était assez génial, c’est qu’on nous donnait trois ou cinq productions dans l’année. Le reste du temps, on travaillait, on avait des cours tous les jours avec le professeur de chant et les coachs de langues. Dès la première année, on était payés mensuellement par la Ville de Lyon en fonction du nombre de spectacles que l’on faisait à l’année. C’était beaucoup plus facile pour gérer son budget, contrairement à maintenant où pendant des mois on n’a rien, puis d’un seul coup on a une somme qui tombe. Pour moi, cette période a été fondamentale, et j’en ai de très bons souvenirs, tout comme mes collègues. 

Aviez-vous déjà un agent pour gérer les financements, trouver des tournées, négocier les contrats ? 

Oui, j’ai eu beaucoup de chance, car dès la 3e année de conservatoire, un agent, Xavier Tamalet, m’a entendue et a parié sur moi. Ce sont d’heureux hasards : il était venu auditionner des gens au Conservatoire, et au départ je ne devais pas auditionner, mais il m’a soutenue à ce moment-là, il a dit : « Je veux quand même la prendre, elle est jeune, mais j’aime cette voix. » Puis, c’est son épouse, Thérèse Cédelle, qui est devenue mon agent. Je suis très fidèle : même professeure depuis trente-deux ans, et même agent depuis 1996. 

C’est elle qui m’a fait rentrer en troupe, et c’est ce qui a vraiment construit mon parcours. J’ai eu énormément de chance au début, j’ai été très aidée et très soutenue. On m’a aussi fait passer les concours, et c’est cela qui nous donne aussi du travail par la suite, car même si l’on ne gagne pas forcément le premier prix, on se fait quand même entendre par tous les directeurs de théâtre qui sont dans le jury. J’ai fait les Voix d’or à Metz, les Voix nouvelles, Operalia, et cela m’a donné plein de contrats derrière. 

Comment se passait la collaboration avec votre agent ?  

J’ai toujours eu de la chance parce que chaque rôle a toujours été une discussion avec ce que j’appelle mon triangle : mon agent, ma professeure de chant et moi. Je n’ai jamais pris une décision seule et on a toujours été toutes les trois d’accord.  

À l’époque de la troupe, vous viviez surtout des concerts ? Enregistriez-vous aussi des disques ?  

Non, jusque-là, je n’avais pas enregistré de disque. Parfois, j’y réfléchissais, j’avais envie et me sentais prête pour faire un disque sur Mozart, ou un disque solo. 

Mais, j’ai commencé à faire des disques une fois que j’ai quitté la troupe. D’abord du baroque, aussi du classique, du xixe, du xxe, je continue à avoir cette ouverture-là et maintenant je crois que j’en suis à cinquante-deux ou cinquante-trois disques. Mais ce n’est pas facile quand on n’est pas dans un label. Je n’ai jamais signé avec un label fixe, on ne m’a jamais demandé. J’ai travaillé avec des petits labels, mais il n’y avait pas de signature. L’avantage c’est que cela m’a laissé une liberté, je n’ai pas eu besoin de demander l’autorisation à droite à gauche pour enregistrer, et cela me correspondait quelque part. Faire un disque, c’est un sacré investissement. 

Par exemple, au premier disque de Rossini, le label n’avait pas autant d’argent à mettre dans le projet, et c’était à nous de compléter. Avec le chef d’orchestre Raphaël Merlin, nous avons dû nous-mêmes participer financièrement, faire un crowdfunding et aller chercher du mécénat. Tous les deux, nous sommes allés frapper courageusement aux portes, exposer notre projet, le défendre… J’ai découvert comment aller chercher du mécénat comme cela. Et finalement, des gens nous ont suivis, c’est extraordinaire quand on repart avec un chèque, moi je n’y croyais pas ! Si l’on a des projets et que l’on n’est pas dans un label, il faut aller chercher l’argent, c’est une réalité et c’est de plus en plus le cas : plein de gens organisent du crowdfunding. On compte sur nos fans qui, d’ailleurs, sont tous généreux, c’est incroyable. 

Cela vous plaisait d’être à la recherche de financement ?  

Je ne dirais pas que cela me plaisait, c’est quand même délicat d’aller réclamer, on n’a pas trop envie de le faire. Mais quand on expose le projet et que les gens nous suivent, on est encore plus contents du résultat évidemment. 

Après la troupe, vous faites donc vos premiers disques ? 

Oui, avec la troupe, j’ai été cocoonée pendant quatre ans et d’un seul coup j’ai travaillé en freelance, et c’est mon agent qui gérait mon planning. À l’époque – j’ai l’impression d’être un dinosaure en disant cela –, on avait du travail très à l’avance, sur quatre ou cinq ans, alors que maintenant, depuis le Covid, c’est un peu plus restreint : même s’il y a encore des projets sur trois ans, on a quand même des propositions de maisons d’opéra qui nous demandent un an à l’avance, le délai est de plus en plus court. Et aujourd’hui, les jeunes ont plus de mal à dire non à des propositions, et je les comprends, il y a tellement moins de travail maintenant. Dans certains théâtres, il y avait huit productions dans l’année, maintenant il n’y en a parfois plus que trois. On faisait de grandes séries, maintenant ce sont des séries de trois représentations. 

Comment votre entourage professionnel a-t-il ensuite évolué ? 

Par la suite, ce qui a évolué, c’est quand j’ai souhaité développer un petit peu plus, au-delà des contrats à New York, à San Francisco ou à Moscou. Il y avait des territoires, par exemple le territoire anglais, qui étaient plus difficiles à atteindre, donc j’avais pris à ce moment-là un agent anglais. Mais cela n’a pas forcément marché d’ailleurs. Puis, j’ai aussi eu un agent italien, qui ne m’a pas ouvert d’autres portes, mais on s’est très bien entendu. Depuis cinq ans, je suis avec un agent allemand en parallèle de mon agent français, il m’ouvre quelques portes en Allemagne et en Suisse allemande. 

Pendant un certain temps, j’avais pris aussi une attachée de presse, mais j’en ai moins besoin parce que l’on ne peut pas avoir une attachée de presse toute l’année, c’est en fonction des événements (une sortie de disque ou alors une prise de rôle, etc.). Mais, c’est utile d’avoir des attachés de presse pour faire notre promotion, pour la télévision par exemple où c’est plus difficile pour la musique classique que pour la variété, le cinéma, la littérature ou même le sport. 

Donc mon cercle proche, c’est mon agent français en priorité (que j’ai tous les jours au téléphone), l’agent allemand, et des attachés de presse de temps en temps en fonction des projets. 

Comment se répartit le travail entre l’artistique et le non artistique ? Trouvez-vous que ce dernier empiète sur le premier ? 

Cela n’empiète pas davantage, mais prend énormément de temps. Dans les transports, si je voyage en avion ou en train, je me concentre sur mes partitions, mais il y a aussi des moments où je fais des choses administratives. Il faut que je réponde aux mails, que je réserve mes trains, mes avions, mes appartements. Je peux passer deux ou trois heures à faire un planning pour organiser mes déplacements pour un événement. Je dois aussi consacrer du temps à l’achat de mes robes. Par exemple, pour les Victoires de la musique classique, il me faut une robe que les gens n’ont pas déjà vue à tel ou tel concert. Contrairement au cinéma ou au théâtre, le prêt de robe est très difficile pour nous.  

Il y a aussi quelque chose de nouveau depuis quelques années et que je gère directement, ce sont les master class. Après vingt-six ans de carrière, maintenant on me demande de partager mon expérience à l’université de Montréal ou à Genève, par exemple. Et c’est quelque chose qui m’intéresse, surtout si la personne m’amène un air d’un rôle que j’ai déjà fait sur scène, je me dis que j’ai peut-être des choses à transmettre. 

Vous occupez-vous également d’autres aspects tels que les droits d’auteur ? 

Alors non, cela, je ne le gère pas du tout et je n’ai pas d’éditeur. Il faut sans arrêt réclamer ses royalties aux maisons de disques. Là, ça fait des lustres que je n’ai rien demandé. Un jour, je vais débarquer, je vais demander qu’on m’envoie un chèque. Parfois, on se dit que c’est bizarre d’avoir pas mal vendu et de n’avoir rien en retour. 

En fait, ce sont les pourcentages qui sont ridicules. Sur tous les disques que j’ai faits, je ne touche presque rien. Il y a plein de moments aussi où on a lâché nos droits, il faut le savoir. Mais pour les albums qui doivent générer des royalties, on est obligés de réclamer, c’est une catastrophe. 

Le rythme est-il tenable ? Êtes-vous parfois fatiguée ou surmenée ? 

Pour l’instant, ça tient, je crois que je suis un peu hyper- active aussi, donc cela m’aide. Mais effectivement, on se rend compte que pour ce métier, comme pour beaucoup d’autres, il faut avoir une bonne constitution, une bonne santé. Par exemple, je peux dormir partout, dans une voiture, dans un train, dans un avion, je récupère grâce à ça. 

Comment vous projetez-vous dans le monde qui se construit, avec de nouvelles technologies notamment ? Comment y envisagez-vous la place de l’artiste ? 

On doit vraiment se prendre en main de plus en plus, c’est une réalité. C’est vrai que, quand on pense aux anciennes chanteuses, la Callas ou Régine Crespin, elles avaient une secrétaire, un assistant à leurs côtés pour les aider, pour l’emploi du temps, etc. Nous, on doit être beaucoup plus autonomes. 

En plus, la jeune génération n’a pas vraiment fait le choix entre la carrière professionnelle et la carrière familiale. Et heureusement, parce que jusque dans les années 1950, ce n’était quand même pas bien vu d’avoir des enfants et d’arrêter une partie de la carrière. Maintenant, c’est complètement accepté, Dieu merci. Je suis d’ailleurs très admirative de mes amies qui ont des enfants. 

Concernant les technologies, la nouvelle génération est passée sur iPad. On le voit beaucoup chez les chanteurs, les pianistes, etc. C’est moins mon truc, je suis encore à l’ancienne, j’ai encore un petit agenda papier, j’aime bien écrire. Pareil pour les partitions, je ne suis pas passée à l’iPad non plus, parce que j’ai une mémoire visuelle, du coup quand j’apprends mes rôles, si j’ai mes deux volumes de partitions bien épais, j’arrive à bien visualiser la quantité de travail. Bien sûr, je me rends compte de cette évolution et de l’utilité, mais je ne vois pas une énorme différence pour l’organisation. 

Vous n’envisagez pas d’avoir un soutien, une assistance pour les tâches de production et d’administration ? 

Non, on est beaucoup dans ce cas-là, on se débrouille. Dans notre milieu, tout le monde fait beaucoup par lui- même, avec ses proches, et cela s’intensifie. Moi, mon ami m’aide quand il y a beaucoup de choses à faire ou, comme je le disais tout à l’heure, ma mère m’aide pour la comptabilité. Les agents ne gèrent pas souvent les à-côtés, c’est à nous de nous en occuper. 

D’ailleurs, on se donne aussi des coups de main entre artistes, par exemple pour les logements, on se donne des adresses pour chaque ville. On a des conversations entre nous, au sein des agences ou entre amis proches. Il y a aussi un site sur Facebook qui s’appelle Le concierge de l’opéra. Apparemment, il y a aussi un site utilisé par les jeunes, Oracle, qui répertorie toutes les auditions pour être sûr de ne pas louper les propositions de travail. C’est assez incroyable. Et puis, je ne me suis pas vraiment renseignée sur l’embauche d’une personne, pour la rémunérer, comment ça se passe ? Quel est le statut ? Je ne sais pas du tout. 

Quel est votre rapport au numérique, aux réseaux sociaux, aux plateformes ? 

Je ne suis pas du tout là-dessus. Je suis encore à l’ancienne sur ce point aussi, cela va avec l’agenda ! J’ai encore ma chaîne hi-fi, j’écoute encore des disques. Quand je me balade, j’ai encore mon Discman. J’aime avoir le disque, j’aime avoir le livret, c’est un objet qui me parle. J’ai encore des livres physiques, je ne suis jamais passée non plus à la liseuse ou à la tablette. 

Je ne vais pas donner un bon exemple, mais, par exemple, Spotify, je ne suis pas du tout abonnée. Je sais que mes morceaux sont dessus, mais je n’écoute pas, je ne vais pas surveiller les chiffres ou les écoutes, vous imaginez ? Il y a plus de cinquante disques à surveiller… Et cela devrait générer des revenus, mais on ne nous tient au courant de rien si on ne réclame pas. 

Concernant les réseaux sociaux, de temps en temps, je suis quand même obligée de mettre des petites photos sur Instagram, sur Facebook. À l’époque, mon attaché de presse me disait de poster davantage parce que les jeunes postent trois fois par jour. Je ne suis ni sur TikTok ni sur Twitter, je suis restée à l’ancienne avec Facebook et Instagram. 

Vous le faites vous-même ? 

Il y a des choses que je fais moi-même, mais j’ai la chance d’avoir une page de fans : j’ai des fans extraordinaires qui gèrent cette page. J’ai trois pages sur Facebook, j’ai une page pro que je ne gère pas, une page fan que je ne gère pas, et ma page perso que je gère. Et eux, ils mettent des infos tous les jours, dès qu’il y a un projet, un concert, une master class, un passage télé, etc. Ils sont à fond, j’adore. 

Ce n’est même pas vous qui leur donnez les informations, mais eux qui vont les chercher ? 

Oui, c’est assez extraordinaire ! Parfois, ils m’annoncent même des choses, c’est rigolo. La page pro est aussi gérée par des fans qui sont complètement bénévoles. Même entre eux, ils se disent : « Alors qui va écouter Karine à tel endroit ? Est-ce qu’on se retrouve ? Est-ce qu’on fait un déjeuner, un dîner ? Qui prend les places ? » C’est dingue, cela fait famille. À force, je les connais et partage du temps avec eux. 

Comment voyez-vous l’avenir des artistes ? Qu’est-ce qu’il faut encourager et mettre en place ?  

Il faut qu’on soit soutenus par nos politiques. Moi, j’aurais bien voulu voir la ministre de la Culture aux Victoires de la musique classique, par exemple, je n’y ai vu qu’une seule fois un ministre. On est un peu délaissés. 

Il ne faut pas qu’il y ait davantage de baisses de subventions. Il y a moins d’argent, il y a moins de subventions, c’est une réalité, aussi bien en France qu’à l’étranger. On est dans une situation où ceux qui nous soutiennent parmi les politiques, c’est la vieille génération, ils ont plus de 70 ans. On aimerait que la jeune génération nous soutienne davantage. J’aimerais que l’on ne soit pas la dernière roue du carrosse, l’artistique est trop souvent la variable d’ajustement des subventions. Nos cachets ont baissé par exemple (j’aurais dû faire de la variété !), dans certaines maisons mon cachet a baissé de 2 000 euros par soir. Dans des maisons d’opéra de province, qui ont très peu de subventions, mon cachet est parfois diminué de moitié. En fait, ce cachet parisien, je ne peux l’avoir qu’à l’étranger si je travaille à Rome, à Madrid, à New York, Zurich, toutes ces villes-là. Évidemment, on ne dit pas non, parce qu’il faut que l’on travaille, mais heureusement que l’on ne fait pas ça pour l’argent, mais parce que le projet artistique nous intéresse. 

Mais quelque chose que je défends beaucoup, c’est justement de pouvoir faire les grands festivals l’été comme Aix-en-Provence, Orange, Salzbourg, Pesaro, auxquels j’ai la chance d’aller, mais aussi les petits festivals. Notre mission, c’est d’aller vers les gens, vers un public qui n’ose pas forcément venir, qui ne connaît pas forcément l’histoire de la musique. Donc on essaie de leur dire que c’est le ressenti qui compte, que ce n’est pas du tout un apprentissage. Et on essaie aussi d’aller dans des endroits où les tarifs sont accessibles parce qu’entre le prix de la place, le transport, l’hôtel, cela commence à chiffrer, or on veut leur offrir la même qualité. 

Par exemple, il y a un festival que j’aime beaucoup qui s’appelle Symphonie d’été, à Fouras, proposé par le même organisateur qu’Un violon sur le sable à Royan, où il faut imaginer 50 000 personnes sur la plage qui écoutent de la musique classique. C’est improbable, cela ne nous arrive jamais ailleurs de jouer devant autant de monde (en dehors du Concert de Paris, le 14 juillet). On a la chance d’aller chanter dans de grands festivals où l’on gagne notre vie, et c’est génial d’aller aussi dans des endroits où l’on va gagner autre chose, avoir un rapport avec les gens que l’on n’aura pas ailleurs. 

Je veux être optimiste, dans le sens où on a la chance de vivre de notre passion. Je me sens vraiment chanceuse. Je me lève le matin et je ne me dis pas : « Mince, il faut que j’aille travailler une partition » ou « Mince, il faut que j’aille répéter ». C’est une passion et j’arrive à en vivre, donc je suis quand même heureuse de cela. C’est normal que les choses évoluent, c’est une évidence, mais je trouve que, malheureusement, on est moins soutenus qu’avant. 

Quel conseil donneriez-vous aux musiciennes et musiciens d’aujourd’hui et de demain ? 

La patience. Être patient, c’est difficile parce que l’on a parfois envie de griller les étapes, d’aller très vite. Comme je le disais tout à l’heure, parfois on nous pro- pose des choses, et il faut être vraiment patient si on veut une carrière qui dure. La patience et le plaisir, qu’il faut toujours garder malgré tout ce qui nous entoure. 

Propos recueillis par Robin Charbonnier et Céline Lugué 

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