Artistes et entrepreneuriat
Vers de nouvelles formes d’organisation dans la musique

Travailler dans le métavers

Quand l'artiste devient code

Par Jeremy Wade Morris
Publié le 17 octobre 2024
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Professeur à l’université de Wisconsin-Madison, rattaché au département Arts et communication, Jeremy Wade Morris enseigne les études culturelles et la sociologie des médias. Ses recherches portent sur les logiciels, les technologies de la musique, la diffusion de podcasts et la numérisation des biens culturels. Il est l’auteur de Selling Digital Music. Formatting Culture (Berkeley, University of California Press), et il a coédité avec Eric Hoyt Saving New Sounds. Podcast Preservation and Historiography, ainsi qu’Appified. Culture in the Age of Apps avec Sarah Murray (Ann Arbor, University of Michigan Press).



Résumé

Cet article examine le travail de la musique dans le métavers, vaste métaphore désignant toutes sortes d’expérimentations numériques menées par des artistes, des maisons de disques et d’autres acteurs de l’industrie, que l’on pense aux concerts virtuels donnés dans des environnements numériques ou aux artistes générés par IA qui existent en tant qu’avatars sur les médias sociaux. Tenant compte des investissements de l’industrie dans l’infrastructure, les technologies, les produits et les services qui visent à introduire les musiciennes et musiciens dans les espaces numériques, nous nous penchons sur deux exemples précis (Zero Pain et Spottie WiFi) afin d’observer l’impact de ces projets sur les conditions de travail des personnes impliquées ainsi que la façon dont le numérique et les espaces virtuels ont ouvert de nouvelles perspectives pour les artistes et la création musicale, tout en leur imposant de nouvelles exigences. 


Introduction

Le potentiel disruptif de l’innovation technologique est un vieux mythe des industries musicales. Que ce soit une question de nouveaux formats (disques compacts, téléchargements, streaming, etc.), de nouveaux moyens de production (studios d’enregistrement analogique, stations audionumériques, etc.) ou de nouveaux modèles de promotion et de diffusion de la musique (boutiques, réseaux de partage de fichiers, services sur abonnement, etc.), l’industrie de la musique enregistrée semble toujours au bord d’un gouffre, constamment menacée de devoir repenser tout son fonctionnement en réponse à la dernière innovation. Si les nouvelles technologies ont effectivement fait bouger certains rouages de l’industrie musicale et même fait apparaître de nouveaux gatekeepers (contrôleurs d’accès) et acteurs institutionnels, la mécanique globale de sa structure traditionnelle n’a pas changé : les grandes entreprises (qu’il s’agisse des principales maisons de disques ou de plateformes plus récentes) sont restées aux manettes de la production, de la promotion et de la distribution, tandis que les artistes ont toujours autant de difficulté à se faire entendre et à obtenir une rétribution juste en échange de leur travail[1]. Les conséquences sur les artistes comme sur notre expérience de la musique de la convergence incessante des technologies de l’information et des secteurs de la musique sont encore mal connues[2].

Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que des tendances récentes comme les non-fungible tokens (NFT, jetons non fongibles), la blockchain, le métavers ou l’intelligence artificielle aient de nouveau répandu l’idée que la technologie permet d’offrir une meilleure égalité des chances aux artistes et de nouvelles possibilités aux industries musicales[3]. On observe un consensus optimiste selon lequel ces nouvelles technologies feront émerger des liens plus authentiques entre les artistes et leur public, de nouvelles formes de production et de communautés musicales, des innovations dans les méthodes de vente et de distribution, et fourniront l’occasion de changer les rapports de force en permettant aux artistes de reprendre la main sur leur travail et sur leurs œuvres, notamment en matière de propriété intellectuelle. Naturellement, on observe aussi des peurs quant à la façon dont ces nouvelles technologies pourraient réduire ou remplacer le travail des artistes déjà en activité et de toutes les autres personnes qui œuvrent dans les industries musicales.

Cet article analyse l’une de ces nouvelles terres promises technologiques : le métavers. En s’appuyant sur des études de cas, il examine la façon dont l’infrastructure industrielle fait l’objet d’investissements culturels et financiers de la part d’une diversité de services et d’entreprises visant à introduire les musiciennes et musiciens dans le métavers, ainsi que les différents types d’arrangements qui s’ensuivent avec les travailleurs et travailleuses de cette industrie. Nous verrons comment chacun de ces cas complique les questions suivantes : qui est susceptible d’être vu comme un musicien ou une musicienne ? À qui appartiennent l’image et la musique d’un ou d’une artiste ? Quel type de nouvelles tâches les artistes et leurs fans prennent-ils en charge à mesure qu’ils adoptent de nouvelles technologies ? En fin de compte, nous pourrons constater que le métavers a favorisé l’investissement et l’engagement dans de nouvelles plateformes, de nouveaux services et de nouvelles relations. Les artistes et leurs fans sont censés adapter leurs pratiques à divers moyens de communication numériques, marchés spéculatifs et espaces virtuels coûteux. Cela renforce le gatekeeping et augmente les exigences en matière de création et de consommation musicales.

La musique dans le métavers

Ce que signifie le métavers pour la musique

Pendant l’épidémie de Covid-19, le confinement a bouleversé l’organisation des concerts et autres représentations publiques dans l’ensemble des industries musicales[4]. Les artistes, les programmateurs ou programmatrices et les fans qui ne s’étaient que timidement livrés à l’expérience des watch parties sur les médias sociaux, du livestream ou des concerts donnés sur des sites de jeu en ligne et autres mises en scène virtuelles, se sont montrés plus disposés à en faire usage à mesure que le confinement s’est prolongé[5]. Comme personne ne savait quand les événements culturels seraient rouverts au public, bon nombre de programmateurs et programmatrices, de salles, de médias sociaux et d’artistes se sont tournés vers des solutions virtuelles – qu’il s’agisse de sessions diffusées en direct sur les médias sociaux ou de concerts donnés dans des salles vides, mais diffusés en continu sur YouTube Live ou Instagram[6]. Certaines initiatives furent de plus grande ampleur, comme les concerts virtuels qui se déroulaient entièrement avec des avatars ou les festivals de musique intégralement organisés en ligne. Si les concerts virtuels, les hologrammes, les avatars des artistes et les mondes numériques destinés à la musique existaient bien avant la pandémie, surtout en Chine et au Japon[7], ces pratiques encore relativement marginales sur les marchés de l’Amérique du Nord et de l’Europe se sont banalisées à la suite de l’interdiction sanitaire des grands rassemblements publics : il était urgent de trouver d’autres façons de diffuser la musique « live ». Pour répondre à ce besoin, toutes les industries musicales ont soudain semblé s’allier autour d’une nouvelle formule, bientôt reprise dans tous les médias : la musique dans le métavers.

Le terme métavers est une vaste métaphore qui désigne toutes sortes d’expérimentations numériques reposant sur des mondes virtuels, la réalité augmentée et d’autres technologies similaires. Il trouve son origine dans un roman de science-fiction des années 1990[8], mais sa résurgence récente date de 2021, lorsque Facebook a tenté de se renommer Meta. Facebook n’est cependant pas la seule entreprise à avoir investi dans des produits, des logiciels et des technologies permettant de construire une plateforme virtuelle propice à toutes sortes d’interactions sociales, y compris la musique. Dans les secteurs de la tech et des médias, on assiste donc à une démultiplication peu cohérente du concept de métavers et de ce que peut vouloir dire défendre des priorités, des espoirs, des innovations et des services. La multitude des métavers se retrouve également dans les industries de la musique. L’existence et le financement de nombreuses entreprises spécialisées dans l’organisation de concerts virtuels (comme Wave ou AmazeVR), les jeux en ligne en monde ouvert (Fortnite, Roblox, etc.), la capture vidéo 3D (Condense, ou autre), les mondes virtuels (Decentraland ou The Sandbox) ou la création d’avatars numériques (Genies) ne donnent qu’un aperçu des diverses façons dont les entreprises espèrent tirer profit de l’idée de métavers.

Le discours sur le métavers fait miroiter des avantages semblables à ceux que promettait l’introduction de la musique dans le cyberespace au début des années 1990 : les artistes pourront interagir plus facilement et plus directement avec leurs fans et l’ensemble de leur public, et ce, dans le monde entier[9]. Le métavers permettra aux artistes de collaborer et de cocréer selon de nouveaux modes, qui feront naître de nouvelles pratiques et communautés musicales[10]. Grâce aux NFT, à la blockchain et à d’autres technologies complémentaires, le métavers promet également de renforcer les droits et le contrôle des musiciennes et musiciens sur leur travail et sur leurs œuvres[11]. En outre, leurs fans peuvent assister à un concert où qu’ils soient, souvent pour un coût moins élevé que celui d’un concert traditionnel. Ils peuvent même rencontrer leurs artistes préférés en coulisses ou dans un carré VIP[12]. Pour les labels et les entreprises de l’industrie musicale présents dans le métavers, les nouveaux mondes numériques promettent d’autres possibilités : publicité, récolte de données, vente d’une quantité presque infinie de produits musicaux et de produits dérivés physiques ou numériques[13]. Ainsi, tout le monde est censé trouver son compte dans le métavers : les fans, les artistes, les entreprises de l’industrie musicale et celles de la technologie.

Il est facile de critiquer le métavers en tant qu’illusion de masse contemporaine – la nouvelle mouture du cyberespace qui promet plus qu’elle ne peut offrir –, mais ce serait passer à côté d’un détail important : la ruée de la musique vers le métavers stimule fortement l’investissement financier dans l’infrastructure industrielle et les technologies qui entourent les services, les entreprises et les initiatives visant à intégrer les manifestations musicales dans les espaces et mondes numériques, virtuels et augmentés. Ce phénomène implique également des investissements culturels dans l’idée même que les espaces et les personnages virtuels, ou tout autre service proposé par le métavers, offrent une véritable et précieuse chance d’interagir avec les artistes et leur musique. À leur tour, ces investissements culturels et financiers génèrent de nouvelles et diverses tâches pour les artistes et leurs fans : un travail musical qui comprend de nouvelles pratiques de création, de production, de promotion, de distribution, et même de nouvelles formes de travail affectif ou relationnel engendrées par les interactions que le métavers permet entre les artistes et leurs fans. Plutôt que de nous laisser distraire par une question trop souvent débattue dans l’industrie – « les expériences musicales fournies par les environnements virtuels peuplés d’avatars sont-elles à la hauteur de celles que l’on peut faire “IRL” [in real life] ? » – nous allons maintenant examiner des exemples de musiques présentes dans le métavers et voir ce qu’ils semblent dire des futures évolutions de l’industrie musicale. Le métavers n’est peut-être qu’un mirage pour la musique, mais les façons dont l’idée de métavers détermine en partie l’investissement financier et l’image de la technologie, tout en suscitant des espoirs et de l’attention, nous incitent à envisager ce à quoi la musique pourrait ressembler dans un monde où des concerts donnés dans des salles remplies de personnes physiques ne sont qu’une modalité parmi d’autres de l’expérience musicale.

Observer le travail de la musique dans le métavers

Si la pandémie a poussé les industries musicales à reconnaître la valeur des concerts virtuels, le métavers a quant à lui fourni un concept sous lequel rassembler les expérimentations disparates menées avant et depuis celle-ci. Afin d’examiner une partie des possibles et des problèmes que le métavers implique pour la production musicale et sa représentation, passons à nos deux études de cas : Zero Pain, un musicien « virtuel », et Mig Mora, un musicien hip-hop qui a acheté et développé un avatar numérique appelé Spottie WiFi.

Étant donné la diversité des activités, des technologies et des environnements que l’on a associés au concept de métavers, ce ne sont pas les exemples qui manquent – que l’on pense aux concerts proposés sur les plateformes de jeu en ligne ou bien à des environnements virtuels particulièrement centrés sur la musique tels que Decentraland. Néanmoins, plutôt que de nous intéresser à des technologies ou environnements spécifiques, nous avons choisi deux exemples qui mettent en évidence le rôle de « l’artiste » et le travail que demandent la construction, la commercialisation et l’entretien d’un avatar numérique. Ce sont aussi des exemples dans lesquels les artistes existent, ou sont principalement connus, sous la forme d’un avatar numérique, et non des artistes déjà connus sur le marché de la musique.

Comme on pouvait sûrement s’y attendre, les plus grands succès musicaux du métavers ont été jusqu’à présent remportés par les avatars de pop stars internationales comme Justin Bieber, Ariana Grande, Megan Thee Stallion, Travis Scott et autres célébrités, dont les shows ont été regardés par un public allant de cinq à cinquante millions de personnes[14]. Néanmoins, quand on s’intéresse aux changements que le métavers induit, la renommée et la popularité de ces artistes bien établis en font des exemples moins riches d’enseignement ; pour ces artistes le métavers n’est qu’un outil de diffusion supplémentaire dans une stratégie promotionnelle plus large. À l’inverse, nous allons étudier deux artistes qui comptent principalement sur leur existence numérique et virtuelle. L’originalité de ces projets aide à comprendre la diversité des expériences que les artistes cherchent à vivre dans le métavers et les défis qu’ils et elles rencontrent en chemin.

Zero Pain, ou qui se cache derrière l’avatar ?

Naissance d’un avatar

Généralement, les concerts organisés pour les célébrités mentionnées ci-dessus mettent en scène un avatar de l’artiste dans un espace virtuel et invitent le public à y assister, voire à entrer dans une forme d’interaction, sous leur propre avatar, grâce à un casque de réalité virtuelle ou plus simplement sur des plateformes en ligne. Pendant que ces concerts introduisent des stars de la pop dans le métavers, de grandes maisons de disques et des producteurs ou productrices indépendants se lancent dans d’autres projets visant à faire naître des artistes au sein même du métavers. Il s’agit d’artistes qui n’existent que sous forme d’avatar et qui lancent leur musique sur Internet, via les réseaux sociaux et les services de streaming, ou dans des espaces virtuels. En 2023, la plupart des grands labels et des entreprises spécialisées dans le divertissement telles que Tencent avaient au moins un projet d’artiste plus ou moins virtuel en cours de réalisation, quand ils ne l’avaient pas déjà ajouté à leur catalogue[15]. Au lieu de transformer une célébrité existante en star virtuelle, ces projets visent à la construire de toutes pièces. Étant donné les controverses actuelles concernant l’intelligence artificielle appliquée à la création musicale et, plus généralement, à l’ensemble des industries du secteur, les maisons de disques qui s’engagent dans cette voie s’empressent de préciser dans leurs communiqués que de « vrais » musiciennes et musiciens existent derrière ces avatars[16]. En effet, la musique et les paroles sont généralement écrites et arrangées par des producteurs et productrices, mais la plupart du temps, c’est un avatar qui sert de visage à l’ensemble du projet. En réalité, comme nous le verrons avec Zero Pain, le métavers repose encore grandement sur les mêmes activités, médias et infrastructures que l’industrie musicale traditionnelle. En d’autres termes, le métavers est un concept qui sert de nouvel « emballage » à des pratiques relativement courantes.

Lancé en 2022 par la filiale italienne de Universal Music, Zero Pain est un projet d’avatar numérique associé à un genre musical connu sous l’appellation phonk, mélange de beats hip-hop et de sons lourds, synthétiques et électroniques. Le phonk gagnait du terrain sur TikTok, mais la plupart des artistes à l’origine de ce phénomène restaient relativement méconnus, leurs sonorités évoquant les musiques des jeux vidéo violents. Dans l’espoir de changer cela, l’équipe derrière Zero Pain a créé un avatar inspiré des mangas : un personnage aux cheveux argentés dont les mèches désordonnées sont aussi acérées que les traits de son visage et les dents imprimées sur son masque noir. Ce côté anguleux se retrouve dans la musique, qui marie des ambiances sombres et dissonantes, produites par ordinateur, avec d’interminables rythmiques hip-hop ou EDM (electronic dance music). Lorenzo Gessner, de Universal Music Italy, et Gabriele Di Giacomo sont présentés comme les « créateurs » de Zero Pain[17]. Leur travail est la réalité derrière l’image de « l’artiste », derrière le visage utilisé pour faire campagne sur les plateformes de streaming et les médias sociaux.

On peut donc trouver Zero Pain sur les mêmes sites que les artistes plus traditionnels. La sortie du premier single de cet avatar sur Spotify semble dater du mois de septembre 2022 (« Millenium Trauma »). Un deuxième (« Peccato ») et un troisième (« Aggro ») sont sortis les mois suivants. Son morceau le plus connu, « Pizza Phonk », a été streamé presque quatre millions de fois, et « Peccato » vient de dépasser les trois millions d’écoutes à l’heure où nous écrivons ces lignes. Les fans peuvent également streamer ces morceaux sur YouTube ou sur SoundCloud, et Zero Pain est modérément actif sur Instagram (@ihavezeropain), où il publie des clips et des images d’art numérique évoquant un monde futuriste et dystopique. Ces médias sont semblables à ceux habituellement utilisés par de nombreux artistes de l’ère numérique afin de partager leur musique avec leurs fans. Sur ce point, il semblerait donc que l’enjeu soit moins d’investir des espaces en lignes spécifiques que de faire exister un avatar sur tout un réseau de services que ses créateurs utilisent en même temps qu’ils développent une stratégie coordonnée pour contrôler l’image de leur créature.

Une expérimentation collective

Concernant cette stratégie, les créateurs de Zero Pain s’empressent de préciser qu’en réalité, ce projet est une grande collaboration virtuelle entre eux-mêmes et les membres d’un forum/serveur inscrits sur la messagerie instantanée Discord[18]. L’idée de Zero Pain est née de discussions qui se tenaient sur un serveur Discord consacré à l’ensemble du rap italien et qui se sont poursuivies sur un forum privé entièrement consacré à Zero Pain. Les membres de la communauté votent pour déterminer plusieurs aspects de la carrière de l’artiste, y compris sa représentation visuelle et ses sorties. Qu’il s’agisse de l’artwork (l’identité visuelle), des titres des morceaux, de la biographie de l’artiste ou de sa présence sur les médias sociaux, tout est soumis à l’avis des fans, jusqu’au point de produire un artiste qui, en théorie, « représente la volonté collective de son serveur Discord[19] ». Comme Lorenzo Gessner le fait remarquer dans un entretien pour Billboard Italy, « [c]’est une expérience collective dans laquelle les gens doivent se sentir actifs et se reconnaître[20] ». Pour Lorenzo Gessner, semble-t-il, le processus compte autant que le projet, et ce processus implique de coordonner une communauté en plus de créer du contenu.

Cette façon d’échanger et d’interagir collectivement avec un artiste n’est pas tout à fait nouvelle, bien que les outils utilisés pour fabriquer le son et l’image d’un avatar numérique puissent avoir l’air flambant neuf. Par exemple, les recherches de Nancy Baym sur les technologies numériques montrent comment les médias sociaux ou des technologies similaires permettent le développement de liens très forts entre les artistes et leurs fans et donnent à ces derniers le sentiment de s’investir dans la carrière et les décisions de leurs idoles[21]. De même, nous avons précédemment étudié la sortie de l’album Ellipse, d’Imogen Heap, pour lequel la chanteuse avait invité ses fans à prendre part à la création des morceaux et de l’ensemble de l’album en publiant chaque jour de nouvelles vidéos sur YouTube, puis élaboré une grande partie de son marketing (éléments biographiques, choix du portrait, graphisme, etc.) en se servant des médias sociaux pour faire du crowdsourcing[22]. Elle publiait également des contenus dans le but de maintenir une communication presque ininterrompue avec son public, construisant ainsi une communauté qui soutiendrait la sortie et les ventes de son album. Cette approche collaborative do it ourselves comprenait même un système de rétribution, comme le défraiement du photographe, des entrées gratuites et l’envoi d’exemplaires en avant-première, même si de nombreux fans contribuaient simplement pour faire partie du projet. Comme Nancy Baym l’explique par le menu dans son livre[23], la stratégie d’Imogen Heap met en lumière les nouvelles tâches que les musiciennes et musiciens sont désormais censés accomplir afin de construire et d’animer une communauté qui les soutient. Si les initiatives prises par Imogen Heap ont permis de terminer l’album et de lui trouver un public, elles montrent aussi l’énergie physique et mentale nécessaire au maintien d’un rythme de communication si soutenu. Ses fans, bien sûr, ont aussi fait des heures supplémentaires, non seulement en tant que public lors d’écoutes en ligne ou de concerts payants, mais aussi en tant que producteurs et productrices, collaborateurs et collaboratrices.

Le projet Zero Pain s’inscrit dans cette lignée. Des personnes mobilisées sur une plateforme centrale (ici, Discord) sont amenées à travailler collectivement et virtuellement pour créer l’avatar qui sert de visage à la musique. Comme les morceaux de Zero Pain reposent davantage sur la programmation que ceux d’Imogen Heap, les fans sont encore davantage associés à la production musicale et à la prise de décision, choisissant parmi plusieurs possibilités pour chaque single[24]. Comme pour tout artiste traditionnel, l’image de Zero Pain demande encore un travail d’entretien et de gestion : il faut sans cesse alimenter les flux des médias sociaux. Ce travail revient essentiellement à Lorenzo Gessner, qui s’occupe aussi de relancer et de gérer les échanges sur le serveur Discord, ce à quoi s’ajoutent des tâches plus habituelles allant de la production à l’obtention d’un produit musical prêt pour sa distribution. En tant que responsable des données et de l’innovation chez Universal Music Italy, Lorenzo Gessner était peut-être particulièrement susceptible de s’intéresser à un projet comme Zero Pain. La majorité de son travail semble être au carrefour de la musique et des jeux vidéo. Avec Gabriele Wiedenmann et Davide Armani au graphisme et à l’animation, l’équipe remplit des fonctions semblables à celles des compositeurs, des compositrices et des graphistes qui créent de la musique ou des images pour d’autres artistes non virtuels. De surcroît, Lorenzo Gessner et Gabriele Di Giacomo se chargent de gérer les données numériques et de construire l’univers narratif virtuel dans lequel évolue l’avatar.

Lorenzo Gessner semble très attaché à la dimension collective du projet : « C’est peut-être virtuel, mais c’est la rencontre de tous ces esprits créatifs qui permet d’obtenir de si bons résultats[25]. » Néanmoins, les métadonnées de Spotify indiquent clairement que les morceaux et le projet appartiennent à Universal Music Italy. Il y a donc un flou sur la façon dont la communauté qui participe au succès grandissant de Zero Pain bénéficie elle aussi des revenus générés par les nombreuses écoutes comptabilisées sur Spotify, YouTube et SoundCloud. Puisque le travail collectivement fourni par la communauté consiste essentiellement à fournir des idées à Lorenzo Gessner et Gabriele Di Giacomo en votant et en faisant des suggestions sur Discord, ce travail passe facilement pour tout à fait normal de la part d’une communauté de fans, et le succès de Zero Pain est simplement la preuve de leur dévouement. Contrairement à ceux d’Imogen Heap, ces fans ne reçoivent aucun objet ou expérience physique en échange de leurs contributions.

Leur relation avec Zero Pain est aussi virtuelle que le personnage lui-même. Pour les créateurs de Zero Pain, le temps qu’ils consacrent à la création musicale n’est qu’une petite partie de la gigantesque tâche qui consiste, non seulement à gérer une communauté en ligne, mais aussi à faciliter et orienter les décisions de cette communauté concernant l’avenir de l’avatar.

Spottie WiFi et les nouvelles économies de la musique

Les avatars présents sur un ensemble de médias sociaux ainsi que les concerts virtuels organisés par des artistes établis et des labels traditionnels ne représentent qu’une partie des activités développées sur le métavers. Cependant, Zero Pain suit un modèle économique qui était déjà celui de groupes de musique « fictifs » allant d’Alvin and the Chipmunks à Gorillaz – c’est-à-dire un modèle fondé sur la vente d’enregistrements comme principale source de bénéfices. L’étude d’un autre artiste virtuel, Spottie WiFi, révèle la mise en œuvre d’une stratégie différente pour que le travail de la musique dans le métavers génère de la valeur.

Le meilleur rappeur de tous les cryptopunks

Spottie WiFi est souvent décrit comme le « meilleur (et le seul) rappeur de tous les CryptoPunks[26]». Contrairement à l’esthétique manga très lisse de Zero Pain, celle de Spottie WiFi est franchement lo-fi : l’avatar porte une casquette de baseball ainsi qu’une chaîne en or sur un T-shirt noir, et son graphisme rappelle les « années 8-bit ». Son visage et ses bras sont couverts de boutons (spots) qui lui donnent son nom et de nombreuses rimes pour ses morceaux hip-hop. Spottie présente une dimension collaborative différente de celle de Zero Pain, et son interaction avec le métavers ne prend pas la même forme. Même son avatar a été généré de façon aléatoire et algorithmique par un code créé par Matt Hall et John Watkinson, un duo de développeurs de logiciels canadiens travaillant sous le nom de Larva Labs[27]. En 2017, Larva Labs a créé une collection de plus de dix mille personnages numériques appelés les CryptoPunks et les a vendus en tant que NFT sur la blockchain : un système de registre décentralisé qui permet d’échanger des monnaies et des biens virtuels, notamment par l’« acquisition » d’exemplaires numériques uniques. La vente de ces CryptoPunks virtuels est souvent citée comme un moment déterminant dans l’histoire du marché de l’art NFT, à l’origine d’une gigantesque inflation des prix des objets de collection numériques vers la fin des années 2010[28].

Mig Mora, qui avait toujours rêvé de se faire une place sur la scène hip-hop, s’était décidé à acheter l’un des dix mille personnages de Larva Labs. Ayant perdu son emploi à la suite de l’épidémie de Covid-19, Mig Mora cherchait un nouveau projet à développer[29]. Il investissait dans les cryptomonnaies depuis 2017, mais cela ne lui avait pas encore rapporté grand-chose. Après avoir suivi la création des CryptoPunks par Larva Labs, il a pris le risque d’acheter CryptoPunk 5528 au début de l’année 2021, pour environ 40000 dollars américains, soit 27 ETH (la monnaie numérique de la blockchain Ethereum)[30]. Bien que chaque CryptoPunk soit unique, le fait que CryptoPunk 5528 fasse partie de la toute petite centaine de CryptoPunks à boutons le rend encore plus rare et reconnaissable[31]. Selon Mig Mora, ce personnage coûtait moins cher parce qu’il avait « des boutons, alors que ce détail augmentait sa rareté[32] ». Si les NFT, les cryptomonnaies et la blockchain font partie d’un certain nombre de métavers en émergence (comme The Sandbox ou Decentraland), CryptoPunk 5528 n’était pas tout à fait prêt à l’emploi.

Inspiré par sa toute nouvelle acquisition, Mig Mora s’est rapproché d’un producteur avec lequel il avait déjà travaillé, puis il s’est mis à enregistrer des morceaux sous le nom de Spottie WiFi. À l’origine, il pensait se servir de Spottie WiFi comme d’un simple avatar sur ses propres comptes Twitter et YouTube, mais quand le projet s’est mis à décoller, il a décidé de lui donner une existence et des comptes distincts : « Il m’a d’abord servi de photo de profil sur Twitter… C’est seulement quelques semaines après l’avoir acheté que j’ai voulu […] en faire une entité à part entière[33]. » Plus tard dans l’année, Mora et son producteur ont sorti un album de sept morceaux, I’m Spottie, limité à 2 000 exemplaires. Acheter un exemplaire, c’était faire l’acquisition d’un NFT, d’un vinyle de l’album, et obtenir le droit d’utiliser les chansons de cet album dans d’autres médias et de garder les revenus ainsi générés[34]. Ce projet a rapporté près de 200 000 dollars[35]. Bien que ce genre de vente ne constitue certainement pas une source de revenus stable ou durable pour Mig Mora, ces sorties artificiellement limitées et présentées comme un véritable événement créent une demande parmi ses fans, qui restent dans l’attente de la prochaine annonce.

Les promesses des mondes décentralisés

Afin d’attirer l’attention sur son projet, peu de temps après la sortie de l’album, Spottie a donné un concert dans un environnement numérique appelé Decentraland. Des sites comme Decentraland ou The Sandbox proposent ce qu’ils appellent des métavers permettant de se consacrer à diverses activités : interactions sociales, sorties festives ou culturelles, acquisition de parcelles et construction d’expériences partageables avec d’autres avatars du même jeu. Ce sont des mondes créés par leurs usagères et usagers, qui en deviennent les principaux propriétaires et gestionnaires en lieu et place d’une équipe de développeurs et développeuses. Reconnus en tant qu’organisations autonomes décentralisées – des services qui sont principalement gérés par des réseaux informatiques décentralisés et qui utilisent la technologie de la blockchain pour procéder à des transactions financières et à des prises de décision –, The Sandbox et Decentraland sont des versions plus ouvertes de métavers fondés sur la propriété privée comme Horizon Worlds de Meta. Grâce aux technologies des cryptomonnaies et de la blockchain, leurs usagères et usagers peuvent acheter des parcelles et concevoir des expériences à vivre sur ces terres virtuelles, comme des concerts ou des festivals de musique. Ces sites posent un certain nombre de problèmes concernant la nature spéculative de l’espace numérique et ce que posséder une parcelle de terre numérique signifie. Decentraland et The Sandbox ne sont pas des espaces réservés à la musique et aux artistes de ce domaine, bien qu’il s’y organise effectivement des concerts, et que certains s’en servent également pour tenter de vendre leur musique ou des produits dérivés. La gouvernance décentralisée rappelle l’esprit des projets open source, mais elle complique aussi la négociation des accords de licence avec les personnes qui détiennent potentiellement les droits d’un produit ou d’une œuvre musicale précise. Les promesses que les technologies de la blockchain font aux artistes – automatiser la rémunération de toutes les parties impliquées dans la rémunération d’une œuvre musicale – sont donc contrecarrées par la réalité de ces métavers composites et complexes, qui semblent suivre des logiques différentes. Decentraland a également tenté d’attirer les artistes du domaine musical en organisant son Metaverse Music Festival. Plusieurs éditions se sont succédé ces dernières années, avec des têtes d’affiche telles que Bjork, Ozzy Osborne et Soulja Boy. D’une durée de quatre jours, ces festivals gratuits comprenaient même des W.C. temporaires virtuels[36]. Spottie y a joué pour la première fois en 2021, avec un set de vingt minutes, et d’autres dates ont suivi. Le rappeur CryptoPunk a également participé à d’autres festivals, comme la Metaverse Fashion Week de 2023. Mig Mora possède désormais plus d’une centaine de parcelles dans Decentraland, sur lesquelles il propose de construire un parc à thème, un site de festival et un centre commercial[37]. Bien que Mig Mora continue de créer de la musique sous ce nom, la majeure partie de son travail rappelle celui d’un trader ou d’un spéculateur : il est toujours en quête de parcelles et d’actifs à acquérir pour attirer l’attention sur Spottie, projet qu’il finance par la vente d’objets de collection numériques.

Le principe est le même sur The Sandbox, où des artistes comme la star du hip-hop Snoop Dogg ont fait des investissements semblables à ceux de Mig Mora. Snoop Dogg possède des terres sur The Sandbox, ce qui augmente la valeur des parcelles à proximité des siennes. Il propose aussi des avatars hors-série inspirés de son univers et des skins[38] que l’on peut acheter pour customiser son personnage[39]. Ces pratiques ont attiré l’attention des grandes maisons de disques. En 2022, le groupe Warner Music a établi un partenariat stratégique avec The Sandbox, promettant la création de quelque chose « entre une salle de concert et un parc à thème musical[40]» afin de promouvoir les concerts et d’autres façons de vivre la musique dans le métavers. Oana Ruxandra, directrice du numérique chez Warner, affirme qu’« en prenant les devants, Warner Music a acheté l’équivalent d’un front de mer. Sur notre land, nous allons développer des expériences musicales collectives, immersives et continues qui repousseront les limites de la réalité et permettront aux artistes et à leurs fans de partager des moments plus intenses que jamais[41] ». À l’instar de Mig Mora, Warner Music envisage certainement de développer des expériences musicales pouvant être vendues, mais tout comme lui elle mise aussi sur la valeur de la terre elle-même. Puisqu’il semblerait qu’une parcelle attenante au domaine de Snoop Dogg ait été vendue près de 450 000 dollars[42], il n’est peut-être pas surprenant qu’après avoir annoncé son partenariat avec The Sandbox, la première initiative du groupe Warner Music n’ait pas été l’organisation d’un concert, mais la vente des terres numériques jouxtant l’endroit où le parc à thème et la salle de concert seraient situés.

Les tentatives de Spottie WiFi sur Decentraland montrent comment un avatar numérique peut passer d’une présence dans le métavers basée sur des médias sociaux tels que Twitter et YouTube (comme pour Zero Pain) à une mise en scène dans le métavers via des environnements numériques (tels que Decentraland). Ces espaces virtuels permettent non seulement de diffuser et de mettre en scène des enregistrements, mais aussi de bénéficier d’une économie très dynamique reposant sur la vente de NFT et d’autres produits numériques (nouvelles chansons, tickets de concert, tenues spéciales, vêtements et accessoires pour avatars, etc.). Ils permettent aussi aux artistes et aux labels d’investir de façon plus spéculative dans les terres ou parcelles numériques que ces environnements mettent en vente, même si les prix et la valeur de ces propriétés numériques varient drastiquement d’un mois à l’autre. Comme le montre l’exemple de Spottie WiFi, le travail de la musique dans le métavers implique un ensemble d’investissements spéculatifs à risques, via des actifs numériques tels que des NFT ou des parcelles qui dépendent in fine des marchés instables des cryptomonnaies. Le métavers offre aux artistes et à leurs labels la possibilité de se lancer dans l’investissement et la spéculation, tandis que la musique produite pour ces espaces devient la valeur ajoutée ou le trait distinctif de leur coin de métavers.

La musique comme marchandise dans le métavers

Nos deux études de cas montrent différents types d’interactions avec le métavers. Les deux artistes, en tant qu’avatars numériques, existent avant tout dans des espaces virtuels, qu’il s’agisse des médias sociaux traditionnels ou d’un environnement virtuel clairement conçu comme métavers. Que l’on considère la gestion de la collaboration numérique par Zero Pain ou les investissements de Spottie WiFi dans des parcelles et des actifs numériques, chaque exemple révèle l’existence de tâches supplémentaires requises pour intégrer le monde musical du métavers. Les réflexions qui suivent envisagent les conséquences de ce travail sur la musique et les industries musicales.

Comme les débats autour des musiciennes et musiciens jouant sous avatar l’ont déjà montré, la musique dans le métavers rappelle ses accointances grandissantes avec les jeux vidéo comme mode de distribution. Voilà longtemps que ces jeux constituent un débouché pour les musiques pop, via les commandes de bandes originales ou l’utilisation de musiques protégées. Auparavant perçus comme des plateformes de jeux en ligne ou des jeux de bac à sable, Fortnite, Roblox et Minecraft ont tous les trois récemment constaté l’avantage d’utiliser le terme métavers pour décrire le service qu’ils proposent[43]. Ces sites ont rejoint des espaces comme The Sandbox et Decentraland en tant qu’environnements virtuels promouvant toute une gamme d’expériences musicales. Pour le moment, les concerts donnés dans ces espaces de jeu sont généralement courts et manquent d’interactions entre les artistes et leurs fans. Mais étant donné la capacité de ces plateformes à attirer des publics existants et le fait que ces publics n’aient ni besoin de s’inscrire sur une nouvelle plateforme ni besoin de s’y adapter, tout en ayant déjà l’habitude d’acheter des produits numériques, ces sites décollent bien plus facilement… et lucrativement.

Développer des avatars numériques ou organiser des événements dans le métavers représente un coût important. Si les maisons de disques et les promoteurs de concerts se réjouissent à l’idée d’économiser sur les dépenses des tournées et d’atteindre des chiffres d’entrées qu’aucun lieu physique ne pourrait égaler, la production de concerts nécessite encore de recourir à des équipes de conception et de programmation informatique, chargées de créer puis d’entretenir l’environnement numérique. La création d’un avatar requiert toujours le travail de graphiste ainsi qu’un partenariat avec un ou une artiste visuel disposé à produire une œuvre, ou à travailler à partir d’images artificiellement générées. Il est peu probable qu’une artiste indépendante ou un chanteur relativement inconnu se voie offrir un partenariat de la part de ces grands sites de jeux.

Qu’il s’agisse de plateformes très fréquentées comme Fortnite ou d’espaces plus confidentiels comme Decentraland, l’utilisation de jeux en ligne ou d’environnements similaires signifie que les artistes doivent se considérer comme capables de développer ou de programmer un jeu, des codeurs ou des codeuses responsables de la construction de plateformes et d’environnements permettant le déroulement d’expériences et l’émergence de communautés. Spottie WiFi et Zero Pain n’ont pas la même histoire, mais les deux impliquent la création et l’entretien d’un avatar et de la communauté qui émerge en leur soutien. Tout comme Keith Negus souligne le fait que le rôle de l’artiste se déplace de la création de contenu à la direction d’une expérience, et que la musique est de plus en plus une question de données[44], Spottie et Zero Pain cachent le créateur derrière l’avatar et déplacent l’enjeu du travail de création vers la production de cet avatar et le minage de données numériques desquelles extraire de la valeur. Puisque toutes les musiciennes et tous les musiciens n’ont pas nécessairement les compétences techniques de Mig Mora ou de Lorenzo Gessner, afin de maintenir leur visibilité dans ces espaces, ils et elles doivent travailler avec des intermédiaires supplémentaires ou d’un nouvel ordre – par exemple, des entreprises pouvant aider à construire ce genre de présence numérique immersive.

Comme Nancy Baym le fait remarquer, si les médias sociaux ont fourni aux artistes de nouvelles façons d’entrer en contact avec leurs fans, ils leur ont aussi confié la responsabilité supplémentaire de construire une communauté plus authentique qui les rapproche de leur public[45]. De la même manière, le fait de jouer sous avatar, comme Spottie WiFi et Zero Pain, et les espaces ainsi investis créent des attentes quant à la nature des relations que les artistes doivent entretenir avec leurs fans. Diriger et gérer une communauté sur Discord ou s’occuper d’un festival et d’un centre commercial sur Decentraland sont probablement des activités très chronophages pour Lorenzo Gessner et Mig Mora.

Ces nouvelles attentes concernant le travail des artistes virtuels dans ces espaces virtuels s’accompagnent d’une évolution tout aussi troublante des marchandises musicales qui, dans ce contexte, deviennent une collection de produits numériques accompagnant l’expérience musicale. La dissociation de la musique et des supports physiques a commencé il y a plusieurs dizaines d’années, quand les ordinateurs sont devenus les principaux dispositifs de création, d’écoute et de diffusion de la musique[46]. Mais le métavers étend le caractère exploitable de la musique en tant que marchandise numérique. Il crée des espaces où les produits numériques sont facilement vendus comme faisant partie intégrante de l’expérience, qu’il s’agisse d’un skin Eminem sur Fortnite ou de souvenirs d’un concert numérique sur Minecraft. Les marchandises musicales virtuelles sont souvent des exclusivités qui n’existent que sur une seule plateforme : par exemple, le partenariat entre Eminem et Fortnite implique la création de produits numériques spécifiques qui ne sont pas disponibles ailleurs. En outre, contrairement à un CD ou un T-shirt que l’on n’achète qu’une seule fois, ces produits numériques peuvent être constamment mis à jour, reproduits à l’infini et sans cesse remis en circulation. Les concerts virtuels et les mondes construits sur la logique et l’économie des jeux vidéo proposent de nouvelles façons de vendre la musique et d’en tirer des bénéfices, là où l’achat de musique enregistrée n’est qu’une seule façon, et rarement la principale, d’interagir avec un artiste. Le concert, les accessoires et les souvenirs numériques font désormais partie du jeu ou, de plus en plus souvent, commencent à ressembler à un jeu. Comme pour un très grand nombre de musiciennes et musiciens des industries musicales contemporaines, les albums et les singles de Zero Pain et de Spottie WiFi sont largement diffusés sur les services de streaming, auxquels on peut accéder gratuitement ou en s’acquittant d’une somme relativement modique. La musique ayant perdu de son importance et de sa valeur, ces actifs numériques promettent, illusoirement ou non, un retour vers des sources de revenus plus stables et plus durables, fondées sur l’échange de produits plutôt que de services.

Parallèlement à la vente de produits virtuels comme les skins, les émojis ou les avatars, on constate un engouement similaire, voire plus intense, pour les transactions spéculatives qui permettent à des artistes ou à des entreprises d’acquérir des espaces numériques (supposément) limités dans certaines parties du métavers. Le projet de Spottie WiFi est autant un projet musical qu’une expérience dans le domaine de la spéculation et des cryptomonnaies. Spottie est l’avatar d’un musicien, mais aussi un pari financier de Mig Mora qui lui a rapporté d’importantes sommes d’argent. Les NFT et les licences d’utilisation que ses fans ont pu acheter avec son album en série limitée leur permettent de profiter à leur tour de ce potentiel spéculatif. Les artistes et les entreprises qui achètent des terres sur Decentraland ou sur The Sandbox font aussi un pari, mais celui-ci porte moins sur le succès d’un artiste en particulier que sur la capacité à monétiser un espace, une image, ou tout autre actif numérique qui rapportera des dividendes un jour ou l’autre.

S’il est possible de mener de telles expériences dans le métavers, c’est que des entreprises spécialisées aussi bien dans la musique que la technologie ont fait d’importants investissements financiers et culturels dans ce concept. Depuis que la technologie musicale est devenue un secteur à part entière digne d’intérêt pour les capitalistes aventureux[47], il existe un double enjeu : non seulement mettre les technologies au service des différentes formes de métavers, mais aussi trouver de nouveaux modèles économiques permettant de tirer des bénéfices de la musique pop. Ces dernières années, les industries musicales se sont par exemple plus généralement tournées vers la finance et les actifs. Les sociétés de capital-investissement et d’autres acteurs de Wall Street tels que Blackrock, J. P. Morgan, le Hipgnosis Songs Fund de Merck Mercuriadis ou bien encore Kohlberg Kravis Roberts & Co. (KKR) ont versé des centaines de millions de dollars pour acquérir les catalogues de célébrités comme Shakira, Bob Dylan, OneRepublic ou Neil Young[48]. Ayant l’intuition que ces catalogues sont sous-estimés et qu’il leur faut trouver d’autres manières d’introduire la musique dans toutes sortes de nouveaux espaces, ces entreprises sont prêtes à payer un prix exorbitant pour le bénéfice potentiel que représente cette propriété intellectuelle. Faut-il donc s’étonner que la musique dans les espaces virtuels devienne tout aussi spéculative que la musique au-delà du métavers ?

Conclusion

Quand les activités ont pu reprendre en public après la pandémie, beaucoup de projets ont dû être abandonnés, et des services et entreprises spécialisés dans les événements virtuels, les avatars et les expériences musicales ont dû fermer boutique ou se réorienter, conduisant les journalistes et les cadres de l’industrie à se demander si les concerts virtuels allaient disparaître aussi vite qu’ils étaient, semble-t-il, apparus. Le fait même que Meta ait publiquement pris ses distances par rapport au métavers, en réduisant l’investissement consacré à ce domaine et en faisant moins de publicité pour le concept[49], semblait aussi indiquer que ce n’était peut-être qu’une mode éphémère. Cependant, étant donné les investissements financiers et culturels que les entreprises ont faits dans les industries de la musique et de la technologie, sans oublier ceux des artistes, sous une forme ou sous une autre, le métavers continuera de faire partie des futurs modes de production, de diffusion et de marchandisation de la musique, comme le suggère la récente expérimentation d’Eminem sur Fortnite.

Les cas que nous avons étudiés donnent un aperçu des chemins qui peuvent être empruntés pour rejoindre le métavers musical. Que l’on considère la gestion d’une communauté collaborative nécessaire au succès d’un avatar virtuel comme Zero Pain, ou l’investissement spéculatif ainsi que la marchandisation d’expériences musicales rares dans lesquels Spottie WiFi s’est engagé, ces deux exemples révèlent le genre de travail que le métavers demande au-delà de la création musicale. Si les expérimentations qui font actuellement les gros titres (et qui touchent un large public) semblent être de grands concerts virtuels donnés par des célébrités, il est peut-être tout aussi utile de s’intéresser à des cas d’engagement dans le métavers plus compliqués et plus éclairants, comme ceux de Spottie WiFi et Zero Pain. Il est très possible que les réalités futures ne soient pas à la hauteur du battage médiatique, mais ignorer les pratiques qui dynamisent les investissements culturels et financiers dans ces espaces, c’est passer à côté des nouvelles formes de travail vers lesquelles les musiciennes et les musiciens se tournent.

Création de projets musicaux sous avatar, streaming de concerts virtuels, introduction de produits et d’actifs numériques, signature de partenariats dans le but de proposer de nouvelles expériences musicales dans le métavers : les expériences menées suggèrent qu’il est au bas mot communément admis qu’une forme d’interaction virtuelle va de plus en plus faire partie d’expériences musicales plus larges. Il se peut que le phénomène retombe rapidement, comme souvent avec les marchés spéculatifs, ou qu’il se heurte aux limites écologiques de la technologie : la quantité de ressources informatiques nécessaires au fonctionnement du métavers, mais aussi à celui de la blockchain, des cryptomonnaies et d’autres technologies connexes, pose de vrais problèmes. De plus, le récent regain d’intérêt pour l’intelligence artificielle générative donne déjà lieu à de nouvelles entités présentes sous forme d’avatars dans des espaces liés au métavers, qu’il s’agisse de Decentraland ou des médias sociaux traditionnels. Ces activités suppriment potentiellement la nécessité de certaines tâches décrites dans cet article. De ce fait, les tentatives et les projets visant à amener la musique dans le métavers (qu’ils viennent de grands labels ou d’artistes indépendants) restent, pour le moment, des expérimentations à haut risque. Mais la spéculation a toujours été au cœur de la musique en tant que marchandise. Prédire le succès (et la rentabilité) d’un ou d’une artiste est la principale devinette au fondement des industries musicales. Ce principe a toujours favorisé les gros joueurs et joueuses qui mettent facilement la main au porte-monnaie, plutôt que les petits qui expérimentent à la marge. Le métavers a beau fournir à des artistes comme Mig Mora des espaces où trouver de nouvelles façons de travailler comme musicien ou musicienne, il ne faudrait pas non plus s’étonner que les maisons de disques et autres grands acteurs et actrices de l’industrie veillent à acquérir leur part du laboratoire où ces expériences se déroulent.

Traduit de l’anglais américain par Fanny Quément.


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[2] HESMONDHALGH D. et MEIER L. M., « What the digitalisation of music tells us about capitalism, culture and the power of the information technology sector », Information, Communication & Society, vol. 21, n° 11, 2018, p. 1555-1570, en ligne : doi.org/10.108 0/1369118X.2017.1340498.

[3] MAGAUDDA P., « The future of digital music infrastructures: expectations and promises of the blockchain “revolution” » dans E. Mazierska, L. Gillon et T. Rigg (dir.), Popular Music in the Post-Digital Age. Politics, Economy, Culture and Technology, Londres, Bloomsbury, 2018, p. 51-68.

[4]  DENK J. et al., « The impact of Covid-19 on music consumption and music spending », Plos One, vol. 17, n° 5, 2022, en ligne : doi.org/10.1371/journal. pone.0267640.

[5] THOMAS M. D., « Digital performances. Live streaming music and the documentation of the creative process », dans E. Mazierska, L. Gillon et T. Rigg (dir.), The Future of Live Music, New York, Bloomsbury, 2020, en ligne : doi.org/10.5040/9781501355905.0011.

[6] MORRIS J. W., « Live at the app: the economics, platforms, and technologies of livestreamed music », dans T. Flew, J. Holt et J. Thomas (dir.), The SAGE Handbook of the Digital Media Economy, Londres, SAGE Publications, 2023, p. 260-79, en ligne : doi. org/10.4135/9781529757170.

[7] LAM K. Y., « The Hatsune Miku phenomenon. More than a virtual J-pop diva », numéro spécial, The Journal of Popular Culture, vol. 49, n° 5, 2016, p. 1107-1124, en ligne : doi.org/10.1111/jpcu.12455 ; WHITELEY S. et RAMBARRAN S. (dir.), The Oxford Handbook of Music and Virtuality, Oxford, Oxford University Press, 2016, en ligne : doi.org/10.1093/oxfordhb/978019932128 5.001.0001 ; ZHANG Q. et NEGUS K., « Stages, platforms, streams. The economies and industries of live music after digitalization », Popular Music and Society, vol. 44, n° 5, 2021, p. 539-57, en ligne : doi.org/10.1080/03007766.2 021.1921909.

[8] STEPHENSON N., Snow Crash, New York, Bantam Books, 1992.

[9] « Learn why metaverse concerts are changing the music industry », CrowdPass, 10 avr. 2023, en ligne : www.crowdpass.co/blog-post/learn-why-metaverse-concerts-are-changing- the-music-industry.

[10] ARVIDSSON S., « How can artists benefit from the metaverse? », Music Business Worldwide, 15 nov. 2022, en ligne : www.musicbusinessworldwide.com/how-can- artists-benefit-from-the-metaverse1.

[11] BERINGER S., « Why the metaverse is music’s next frontier and what you need to know», The Drum, 11 mai 2022, en ligne : www.thedrum.com/news/2022/05/11/why-the-metaverse-musics-next-frontier-and-what-you-need-know.

[12]  « Live Concerts, miniverses and virtual events await you in the metaverse », VRROOM, n. d., en ligne : vrroom.world/en.

[13] MARR B., « 4 ways the metaverse and Web3 will transform music», Forbes, 2 août 2023, en ligne : www.forbes.com/sites/bernardmarr/2023/08/02/4-ways-the-metaverse-and-web3-will-transform-music.

[14] PATEL J., « Top 10 most popular metaverse concerts», Metaverse Marcom, 18 nov. 2022, en ligne : www.metaversemarcom.io/post/top-10-most- popular-metaverse-concerts.

[15] TENCER D., « Meet the virtual artists backed by some of the world’s biggest entertainment companies », Music Business Worldwide, 22 mai 2023, en ligne : www.musicbusinessworldwide.com/meet- the-virtual-artists-backed-by-some- of-the-worlds-biggest-entertainment- companies1.

[16] DREDGE S., « Phonky thang? Universal Music Italy debuts virtual artist Zero Pain », Music Ally, 2 déc. 2022, en ligne : musically.com/2022/12/02/phonky- thang-universal-music-italy-debuts- virtual-artist zero-pain.

[17] DANIELLI S., « Zero Pain, alla scoperta dell’artista phonk solo virtuale nato in una community di Discord », Billboard Italia, 2 déc. 2022, en ligne : billboard.it/musica/hiphop/zero-pain- alla-scoperta-dellartista phonk-solo- virtuale-nato-in-una-community-di- discord/2022/12/0298056.

[18] Ibid.

[19] DREDGE S., « Phonky thang? », art. cité.

[20] Cité dans DANIELLI S., « Zero Pain », art. cité, traduit de l’italien par Jeremy W. Morris.

[21] BAYM N. K., Playing to the Crowd. Musicians, Audiences, and the Intimate Work of Connection, New York, NYU Press, 2018.

[22]  MORRIS J.W., «Artists as entrepreneurs, fans as workers», Popular Music and Society, vol. 37, n° 3, 2014, p. 273-290, en ligne : doi.org/10.1080/03007766.2 013.778534.

[23] BAYM N. K., Playing to the Crowd, op. cit.

[24] DANIELLI S., « Zero Pain », art. cité.

[25] Cité dans ibid., traduction de l’italien par Jeremy Wade Morris.

[26] FRUCHTER A., « Meet Spottie WiFi, the cryptopunk rapper who made $192,000 in 60 seconds», Complex, 23 sept. 2021, en ligne : www.complex. com/pigeons-and-planes/a/cmplxalex/ cryptopunk-rapper-nft-spottie-wifi.

[27] Voir le site de Larva Labs : www.larvalabs.com/about.

[28] UPSON S., « The 10,000 faces that launched an NFT revolution », Wired, 11 nov. 2021, en ligne : www.wired. com/story/the-10000-faces-that- launched-an-nft-revolution.

[29] DEE J., « Spottie WiFi interview. Meet the world’s first cryptopunk rapper who made $200k in NFT album sales in 1 minute », A&R Factory, 15 nov. 2021, en ligne : www.anrfactory.com/spottie- wifi-interview-meet-the-worlds-first- cryptopunk-rapper-who-made-200k-in- nft-album-sales-in-1-minute.

[30] FRUCHTER A., « Meet Spottie WiFi », art. cité.

[31] Ibid.

[32] DEE J., « Spottie WiFi interview», art. cité.

[33] Cité dans FRUCHTER A., « Meet Spottie WiFi », art. cité.

[34] Ibid.

[35] Ibid.

[36] HASAN S., « Decentraland’s Metaverse Music Festival is back for 2022, bigger and better », Wired, 3 nov. 2022, en ligne : wired.me/culture/decentraland- metaverse-music-festival-2022.

[37] Voir le forum Decentraland : forum. decentraland.org/t/dao-0f8b5d1-all- time-high-fest-a-gamified-metaverse-music-festival-in-november/19733.

[38] Skin : apparence personnalisée pour un personnage ou un objet dans un jeu.

[39] « The Sandbox partners with Snoop Dogg to bring legendary rapper into the metaverse », The Sandbox, 22 sept. 2021, en ligne : www.sandbox. game/en/blog/the-sandbox-partners- with-snoop-dogg-to-bring-legendary- rapper-into-the-metaverse/347.

[40] Cité dans ROBERTSON A., « Warner Music Group is launching a metaverse concert hall where you can pay to be its neighbor», The Verge, 27 janv. 2022, en ligne : www.theverge.com/2022/1/27/22904382/warner- music-group-the-sandbox-virtual-real- estate-sale-concert-venue.

[41] Citée dans « The Sandbox partners with Warner Music Group to create music-themed world in the metaverse », Warner Music Group, 27 janv. 2022, en ligne : www.wmg.com/news/ sandbox-partners warner-music- group-create-music-themed-world- metaverse-36116.

[42] HOOVER A., « Confused about the metaverse property boom? We’ve got you covered », Morning Brew, 13 juin 2022, en ligne : www. morningbrew.com/daily/stories/ 2022/06/10/metaverse-property-explained ; MALWA S., « Snoop Dogg is rebuilding his real-life mansion in The Sandbox NFT metaverse », CryptoSlate, 25 sept. 2021, en ligne : cryptoslate.com/snoop-dogg-is- rebuilding-his-real-life-mansion-in the- sandbox-nft-metaverse.

[43] KASTRENAKES J., « Roblox goes public so that it can build a bigger metaverse », The Verge, 19 nov. 2020, en ligne : www.theverge.com/2020/11/19/21578491/roblox-ipo-announced-dau-increase-pandemic ; TASSI P., « Fortnite’s Epic Games makes a metaverse investment to scale up even further », Forbes, 23 sept. 2022, en ligne : www.forbes.com/sites/paultassi/2022/09/23/ fortnites-epic-games-makes-a- metaverse-investment-to-scale-up-even- further.

[44] NEGUS K., « From creator to data. The post-record music industry and the digital conglomerates », Media, Culture & Society, vol. 41, n° 3, 2019, p. 367-384, en ligne : doi.org/10.1177/ 0163443718799395.

[45] BAYM N. K., Playing to the Crowd, op. cit.

[46] ANDERSON T. J., Popular Music in a Digital Music Economy. Problems and Practices for an Emerging Service Industry, New York, Routledge, 2014.

[47] WATSON A. et LEYSHON A., « Negotiating platformisation. Musictech, intellectual property rights and third wave platform reintermediation in the music industry », Journal of Cultural Economy, vol. 15, n° 3, 2022, p. 326-343, en ligne : doi.org/10.1080/17530 350.2022.2028653 ; WATSON A., LEYSHON A. et WINDSOR G., « Tech start-up capitalisation in an oligopolistic copyright industry. The case of the contemporary music industry », Cultural Trends, 2023, en ligne : doi.org/10.1080/09548963.2023.2255832.

[48] INGHAM T., « Music catalogs are selling for serious cash. Now Wall Street wants in », Rolling Stone, 13 janv. 2021, en ligne : www.rollingstone.com/pro/features/music-catalogs-are-selling-for- serious-cash now-wall-street-wants-in- on-it-1113766.

[49] BHATTACHARYA A., « Meta’s “year of efficiency” means job cuts, less metaverse, and more generative AI », Quartz, 14 mars 2023, en ligne : qz.com/meta-layoffs-2023-jobs-metaverse-ai-1850196575.

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