Synthèse de l’étude SPOT
Cette étude prospective présente des scénarios d’évolution de la filière musicale, dans une perspective de neutralité carbone de l’économie française à horizon 2050.
La transition écologique doit permettre de passer d’une société qui se développe de manière non soutenable à un développement soutenable qui ne dépasse pas les neuf limites planétaires1. Pour que l’ensemble de la société puisse se projeter et tendre vers ce nouvel état, il paraît essentiel de donner des horizons possibles. C’est ce qu’a fait l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), en anglant son analyse prospective sur la lutte contre le changement climatique dès 2021 avec « Transition(s) 2050 », un projet ambitieux de projection de l’économie française qui vise la neutralité carbone en 2050 en construisant quatre scénarios possibles pour atteindre cet objectif.
Ce travail prospectif couplé aux données de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) a servi de cadre souple à la construction de cette « onde longue » du CNMlab. Le cabinet Ramboll, spécialisé en prospective, a été mobilisé pour estimer l’impact actuel de la filière, assurer l’organisation du travail prospectif et délivrer le rapport technique qui constitue le principal élément de ce projet.
L’étude se divise en trois parties :
- Un état des lieux de l’écosystème musical face aux défis climatiques et environnementaux.
- Les scénarios d’adaptation de l’écosystème musical d’ici à 2050.
- Les principaux enjeux d’avenir pour la filière.
L’étude s’appuie sur une analyse documentaire de données économiques, sur des données issues de bilans carbone existant au dernier trimestre 2023, ainsi que sur une série d’entretiens permettant de dresser un premier état des lieux de l’exposition de l’écosystème au changement climatique et à ses conséquences. Ce travail a permis d’évaluer de manière synthétique les principaux postes d’émissions, de lister les enjeux climatiques et ceux des ressources biophysiques et non renouvelables pouvant affecter les approvisionnements, les infrastructures, la santé, les conditions de travail, les finances, ainsi que les publics. Ces évaluations ont permis d’effectuer une estimation globale, pour pouvoir quantifier les efforts à effectuer, et ainsi parvenir à la neutralité carbone dans chaque scénario.
Pour dresser des scénarios plausibles, la mobilisation d’un groupe de travail représentatif de ces différents métiers de l’écosystème a été primordiale. Dans un premier temps, ce groupe s’est réuni pour travailler sur l’identification de variables structurantes telles que la gouvernance, les modèles économiques, et sur des variables plus spécifiques au secteur, telles que la question des métiers et régimes, ou bien celle du lien entre musique et territoire. À partir de cette identification, les professionnelles et les professionnels ont élaboré des hypothèses d’évolution des variables au sein de la filière.
Après un travail de consolidation avec les scénarios de l’Ademe, puis de projection prenant en compte les ordres de grandeur en matière d’atténuation et les effets impliquant une adaptation, l’étude débouche sur quatre idéaux types. Ces scénarios proposent des potentialités de développement de la filière.
Scénarios prospectifs 2050 de l’adaptation de l’écosystème musical aux enjeux climatiques et environnementaux
Scénario 1 : « À bicyclette » (Yves Montand) — Frugalité
Seul le premier scénario permettrait au secteur de réaliser un effort contribuant de manière égale à la stratégie de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. La frugalité renvoie aux transformations importantes des pratiques des spectateurs et à une plus grande intervention de l’État dans des programmes de décarbonation forte et d’adaptation, mais un désengagement relatif de ce dernier dans la conduite des politiques culturelles désormais confiées aux acteurs publics locaux. Ce faisant, c’est le scénario ayant le plus fort impact sur les métiers de la filière : il implique de facto une contraction économique pour le milieu professionnel, avec de nombreux emplois qui disparaissent.
Scénario 2 : « Come Together » (The Beatles) — Sobriété et efficacité
Le second scénario fait la part belle à une forme de décentralisation de l’activité culturelle et musicale qui se rééquilibre sur le territoire. Il permet d’éviter la contraction économique du secteur, mais il implique tout de même des tensions qui restent fortes pour l’approvisionnement en ressources biophysiques supportant le déploiement de l’économie numérique de la musique enregistrée. Il s’appuie sur une logique de décentralisation et de rééquilibrage des événements culturels sur l’ensemble du territoire.
Scénario 3 : « Computer Love » (Kraftwerk) — Polarisation et efficacité
Le troisième scénario présente les mêmes tensions que le précédent, mais ces dernières sont plus marquées, car le secteur s’appuie bien plus sur le numérique pour poursuivre sa croissance. Ici, le pari de technologies plus vertes entraîne des conséquences insidieuses pour le secteur : il induit une hausse importante des frais assurantiels et de sécurité en ce qui concerne le spectacle vivant. Cet élément, ajouté à d’autres, contribue à faire sortir une partie de la filière du secteur professionnel et aboutit à l’émergence d’une forme de contre-culture tolérée.
Scénario 4 : « Harder Better Faster Stronger » (Daft Punk) — Dominations
Dans ce quatrième et dernier scénario, l’État gère les crises climatiques par la technologie, tandis que la puissance publique se désinvestit de la politique culturelle. Cette absence de politique étatique conduit à des logiques de développement à deux niveaux, entre des acteurs qui s’agrandissent et s’occupent de l’entièreté des carrières d’artistes, et d’autres acteurs qui collectivisent leurs forces pour continuer à produire des spectacles. L’accès à la culture vivante devient un luxe et tend à être réservé à une élite.
Ces quatre scénarios impliquent des transformations importantes qui vont affecter à la fois les métiers de la filière et les pratiques des spectateurs et spectatrices et des auditeurs et auditrices. Les trois derniers scénarios impliquent, en outre, que le secteur de la musique s’appuie sur des efforts plus importants de la part d’autres secteurs pour compenser son impact carbone — qui resterait sinon supérieur à l’effort demandé équitablement à l’ensemble des pans de l’économie française.
Principaux enjeux prospectifs face aux défis climatiques et environnementaux
Cet exercice narratif met l’accent sur de grands enjeux à court et moyen termes, sur lesquels la filière musicale devra travailler.
Transformer l’écosystème musical et ses modèles économiques
Les logiques de développement économique, en concomitance avec la poursuite du réchauffement climatique, font apparaître la nécessité de mener un travail sur la transformation des modèles économiques. Cette étude pointe la réduction indispensable de la fragilité des infrastructures, la mutation des métiers et compétences à anticiper, et les manières de produire et de consommer à questionner.
Repenser la gouvernance de l’écosystème musical
Un autre enjeu prégnant est celui de la gouvernance de cet écosystème, pour mener à bien les transformations que le réchauffement climatique va engendrer. Pour traiter cet enjeu, il semble nécessaire de retravailler la question des cadres de gouvernance, tout en redessinant les contours du territoire et en faisant en sorte que cette transition se conjugue avec les droits culturels.
Travailler sur les imaginaires autour de la transformation
Enfin, pour parvenir à opérer ces changements, il paraît tout aussi important de traiter l’enjeu des imaginaires autour de ces transitions : en s’appuyant à la fois sur l’expérimentation pour changer les pratiques et les usages, et sur le rôle de la musique dans le changement des comportements.
Ces scénarios dessinent des horizons possibles qui ne sont pas si lointains. Leur but est bien de permettre l’anticipation et la prise de conscience, par les personnes œuvrant dans la filière, des transformations qui pourront affecter l’écosystème dans les années à venir. C’est un socle qui permet d’ouvrir le débat sur l’orientation que nous souhaitons donner collectivement à cette transition.
- Définies en 2009 par une équipe internationale de 26 chercheurs, menée par Johan Rockström du Stockholm Resilience Centre et Will Steffen de l’Université nationale australienne, elles ont été reprises en France par le Commissariat général du développement durable (CGDD) : changement climatique, érosion de la biodiversité, perturbation des cycles de l’azote et du phosphore, changement d’usage des sols, cycle de l’eau douce, introduction d’entités nouvelles dans la biosphère, acidification des océans, appauvrissement de la couche d’ozone, augmentation de la présence d’aérosols dans l’atmosphère. Pour plus d’informations : https://www.notre-environnement.gouv.fr/themes/societe/article/limites-planetaires. ↩︎