Musique live et Génération Z

Enjeux et perspectives

Par Loïc Riom
Publié le 17 avril 2023
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Loïc Riom travaille à l’Université de Lausanne et enseigne à l’École polytechnique fédérale de Lausanne. Il est titulaire d’un doctorat en études des sciences et des techniques (Centre de sociologie de l’innovation de l’École supérieure des Mines de Paris). Sa thèse porte sur l’économisation de formats intimistes et secrets de concerts. Plus largement, ses intérêts de recherche se situent à l’intersection de la sociologie de la musique et de l’étude sociale de l’innovation. Ses enquêtes actuelles se concentrent sur les investissements financiers dans l’industrie musicale.


Résumé

Alors qu’aussi bien les festivals que les concerts de musiques actuelles ont pendant longtemps été associés à la jeunesse, l’avènement d’une nouvelle génération de consommateurs et de consommatrices — la « Gen Z » — suscite des questions sur leur rapport à la musique live. Sur fond d’innovation technologique et de la crise de la COVID-19, une partie des acteurs et des actrices du secteur s’interroge sur le renouvellement de leur public et de la transformation des habitudes de consommation des 13-26 ans.

Cette onde courte propose un premier panorama des enjeux qui se dégagent de cet hypothétique découplage entre « Gen Z » et musique live. Elle vise à examiner ce qui se joue dans la transformation tant du rapport des 13-26 ans au concert que de celui des professionnels et professionnelles de spectacles aux publics jeunes. Pour ce faire, elle explore trois questions : les pratiques de fréquentation des concerts de la « Gen Z », les relations entre musique live et réseaux sociaux, et ce qui fait venir les publics les plus jeunes au live ou, au contraire, les en éloigne. En conclusion, elle esquisse trois pistes pour poursuivre la réflexion et identifier des défis tant du point de vue de la recherche que de celui des pouvoirs publics ou des professionnels et professionnelles du secteur.


Introduction

« Les enfants ne se portent pas bien : l’initiation chaotique de la génération Z à la musique live », titrait le magazine en ligne américain Paste en juillet 20221Jordan L., « The Kids Aren’t Alright: Inside Gen Z’s Chaotic Introduction to Live Music », Paste Magazine, 14 juillet 2022, en ligne : https://www.pastemagazine.com/music/gen-z-concert-safety/.. L’article revenait sur « l’invasion chaotique » des festivals estivaux par des « hordes d’adolescents et d’adolescentes » sans aucune expérience de concert après deux ans de restrictions sanitaires et d’annulations dues à la pandémie de COVID-19. Un tel portrait peut paraître surprenant. Pendant longtemps, le rapport étroit entretenu entre musique live — festivals en tête — et jeunesse est apparu comme une évidence, voire un élément constitutif de l’essence même de la pop2Voir à ce propos le récent texte de Gayraud A., Younger than yesterday : Jeunesse pop à travers les âges, 3 janvier 2023, en ligne :  https ://www.theravingage.com/documents/gayraud-younger-than-yesterday.. Au contraire, lorsqu’il était question d’âge, l’interrogation portait plutôt sur celles et ceux qui continuaient de fréquenter des concerts malgré leur âge avançant3Sur cette question, voir notamment les travaux de Bennett A., « Punk’s not Dead: The Continuing Significance of Punk Rock for an Older Generation of Fans », Sociology, vol. 40, no 2, 2006, p. 219‑235..

L’article de Paste n’est, toutefois, pas isolé. Depuis plusieurs années, la « génération Z » — c’est-à-dire les personnes nées entre 1997 et 2010 — soulève de nombreuses interrogations au sein de l’industrie musicale. L’avènement de ce nouveau groupe de consommateurs et de consommatrices donne lieu à une production importante d’études marketing, d’articles de presse et de prises de position. Leurs habitudes de consommation sont régulièrement présentées comme étant en rupture avec celles des générations précédentes, ouvrant la voie à nombre de spéculations sur les conséquences de cette transformation sur l’industrie musicale. Le live n’échappe pas à ce mouvement. En outre, ces interrogations s’inscrivent plus largement dans un moment d’incertitudes liées, d’une part, au retour du public à la suite de la levée des restrictions sanitaires et, d’autre part, au développement de nouvelles technologies qui, du livestreaming aux métavers, promettent de redéfinir l’expérience du concert.

C’est dans ce contexte que plusieurs professionnels et professionnelles de la filière ont fait remonter certaines questions au sein du CNM et que l’idée de cette onde courte a émergé. Elle a comme ambition de déplier les enjeux du rapport entre « Gen Z » et musique live afin d’en proposer une première exploration. Centrée sur les musiques actuelles, il ne s’agit en aucun cas d’une étude complète sur le rapport des 13-26 ans à la musique, ni même à la musique live. En revanche, le but est bien de faire la somme des connaissances existantes sur le sujet et d’ouvrir une réflexion du point de vue tant de la recherche que des milieux professionnels et politiques. Pour ce faire, cette onde courte rassemble trois types de matériaux. Pour commencer, elle s’appuie sur différentes sources secondaires (littérature académique, rapports, statistiques officielles), même si cette question reste encore peu travaillée en tant que telle. Ensuite, deux ateliers de réflexion avec au total treize professionnels et professionnelles ont été organisés par le CNM4Ces deux ateliers ont eu lieu à l’automne 2022. Ils ont duré respectivement trois et quatre heures. Les participants et participantes ont été recrutés à travers les réseaux du CNM. Nous avons veillé à la diversité de la représentation des structures en fonction de leur localisation et de leurs activités (festivals, salles de concert, tourneur).. Ceux-ci ont permis de faire émerger des enjeux et des expériences qui ont nourri ce texte. À ce titre, cette onde courte porte autant sur les habitudes des 13-26 ans que sur le rapport que le secteur du concert entretient avec ce groupe d’âge, la manière dont il se le représente et les questions que cela soulève. Finalement, le CNM a mené douze entretiens exploratoires avec des personnes âgées de 13 à 25 ans (voir tableau ci-dessous). Ces éléments empiriques originaux ont permis d’enrichir davantage le contenu de la réflexion proposée ici.

Figure 1 : Profil des personnes interrogées dans le cadre des entretiens conduits par le CNM5Les douze entretiens ont été réalisés par Robin Charbonnier et Jade Brunet du Centre national de la musique en décembre 2022. Ils ont porté sur les pratiques et les habitudes des personnes interviewées et ont duré entre dix-huit et quarante-six minutes. Ces personnes ont été recrutées à travers les réseaux personnels des enquêteurs et enquêtrices en veillant à garantir la diversité des profils des personnes rencontrées. Les prénoms ont été remplacés par des pseudos.

Cette onde courte est organisée en trois sections. La première s’intéresse aux pratiques et aux habitudes des personnes âgées de 13 à 26 ans. La deuxième section porte sur les relations entre concert et espaces médiatiques en ligne. La troisième section envisage trois enjeux pour questionner les rapports mutuels entre le secteur du live et les publics les plus jeunes. La conclusion esquisse quelques pistes pour poursuivre la réflexion.

« Gen Z », de quoi parle-t-on ?

Le terme de « Gen Z », pour génération Z, est avant tout utilisé dans la littérature marketing6Voir par exemple Bresman H. et Rao V. D., « A Survey of 19 Countries Shows How Generations X, Y, and Z Are — and Aren’t — Different. », Harvard Business Review, 25 août 2017, en ligne : https://hbr.org/2017/08/a-survey-of-19-countries-shows-how-generations-x-y-and-z-are-and-arent-different.. Il désigne les personnes nées entre 1997 et 2010, c’est-à-dire âgées de 13 à 26 ans en 2023. Cette génération suit les millennials (génération Y, personnes nées entre 1986 et 1996) et précède la génération alpha (individus nés à partir de 2011). Toutefois, le concept de génération fait l’objet de nombreux débats, notamment du point de vue des pratiques d’écoute musicale7Voir Glevarec H., Nowak R. et Mahut D., « Tastes of our Time: Analysing Age Cohort Effects in the Contemporary Distribution of Music Tastes », Cultural Trends, vol. 29, no 3, 2020, en ligne : https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09548963.2020.1773247.. C’est pourquoi l’utilisation ici du concept de « génération Z » reste délicate. Il s’agit en particulier de faire la distinction entre ce qui relève d’un effet d’âge ou de génération8L’effet d’âge renvoie à l’idée d’un moment particulier des parcours de vie (p. ex., l’adolescence ou l’entrée dans l’âge adulte). L’effet de génération fait lui référence à un effet propre à une cohorte d’individus et à son inscription dans un moment historique particulier..

« Gen Z », première génération post-Internet ?

D’un point de vue générationnel, d’abord, les personnes nées entre 1997 et 2010 ont comme point commun d’avoir un rapport à la musique que l’on pourrait qualifier de « post-Internet », c’est-à-dire que pour eux, YouTube, les plateformes de streaming ou l’autotune ne sont pas des transformations, mais des états de fait. Ewa Mazierska, Les Gillon et Tony Rigg précisent : « Les termes de post-digital ou de post-Internet ne se réfèrent pas à la période où les technologies numériques ou Internet cessent d’agir ou de compter, mais, au contraire, lorsqu’elles deviennent omniprésentes9Mazierska E., Gillon L. et Rigg T., Popular Music in the Post-Digital Age: Politics, Economy, Culture and Technology, New York, Bloomsbury, 2018, p. 3. (Traduction de l’auteur.). » Ce caractère « post-Internet » se traduit de manière paradigmatique dans le smartphone qui pour beaucoup est le vecteur principal de leur écoute de musique10Nowak R., Consuming Music in the Digital Age: Technologies, Roles and Everyday life, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2016 ; Maisonneuve S., « L’économie de la découverte musicale à l’ère numérique », Reseaux, vol. 213, nᵒ 1, 2019, p. 49‑81..

La fin de l’hégémonie du CD en tant qu’objet central de mise en forme de la musique, ce qu’Antoine Hennion a désigné par le terme de « discomorphose11Hennion A., Les Professionnels du disque : Une sociologie des variétés, Paris, Métailié, 1981. », a conduit à une profonde réorganisation non seulement des industries musicales et de leurs chaînes de valeur12Matthews J. T. et Perticoz L., L’Industrie musicale à l’aube du XXIe siècle, Paris, L’Harmattan, 2012 ; Rogers J., The Death and Life of the Music Industry in the Digital Age, Londres, Bloomsbury, 2013 ; Arditi D., iTake-Over: The Recording Industry in the Digital Era, Lanham, Boulder, New York & Londres, Rowman & Littlefield, 2014 ; Eriksson M., Fleischer R., Johansson A., Snickars P. et Vonderau P., Spotify Teardown: Inside the Black Box of Streaming Music, Cambridge, MA, MIT Press, 2019., mais également des chemins par lesquels circulent les contenus musicaux13Harvey E., « Collective Anticipation : The Contested Circulation of an Album Leak », Convergence, vol. 19, no 1, 2013, p. 77‑94 ; Ribac F., « Amateurs et professionnels, gratuité et profits aux premiers temps du Web 2.0 : L’exemple de la blogosphère musicale », Transposition, no 7, 2018, en ligne : https://journals.openedition.org/transposition/2483 ; Eriksson M., « The Editorial Playlist as Container Technology: On Spotify and the Logistical Role of Digital Music Packages », Journal of Cultural Economy, vol. 13, no 4, 2020, p. 415‑427 ; Heuguet G,. YouTube et les métamorphoses de la musique, Bry-sur-Marne, INA, coll. Études et controverses, 2021.. À ce titre, l’arrivée d’une nouvelle génération de consommateurs et de consommatrices de musique contribue à questionner la place des concerts au sein de ce paysage post-Internet. Les 13-26 ans possèdent-ils et elles des attentes différentes ? Qu’est-ce qui compte pour ces personnes dans l’expérience d’un concert ? On manque malheureusement encore d’éléments empiriques pour véritablement répondre à ces questions. Tout au plus, l’étude du Pass Culture sur le regard des jeunes sur la musique live livre quelques débuts d’explications14Concerts et festivals : Quel regard les jeunes posent sur la musique live ?, Pass Culture et Prodiss, 2022, en ligne : https://smallpdf.com/fr/file#s=275633fd-23e7-4343-b110-621c688d9ad6.. Sans que l’on dispose de points de comparaison véritablement fiables, les attentes recensées ressemblent beaucoup aux arguments habituellement mis en avant pour qualifier la valeur de l’expérience d’un concert15Hennion A., « Scène rock, concert classique », Vibrations, Hors-série, 1991, p. 101‑119 ; Auslander P., Liveness: Performance in a Mediatized Culture, Londres, Routledge, 2008 ; Ferrand L., « Comprendre les effervescences musicales. L’exemple des concerts de rock », Sociétés, vol. 104, no 2, 2009, p. 27‑ 37 ; Kjus Y., Live and Recorded: Music Experience in the Digital Millennium, Berlin, Springer, 2018 ; Holt F., Everyone Loves Live Music: A Theory of Performance Institutions, Chicago, University of Chicago Press, 2020 ; Riom L., Faire compter la musique. Comment recomposer le live à travers le numérique (Sofar Sounds 2017-2020), thèse de doctorat, Paris, CSI Mines-ParisTech, Université PSL, 2021 : la coprésence, le caractère unique et éphémère de l’instant, la qualité de l’écoute. Les entretiens menés par le CNM rejoignent ce constat : les éléments avancés par les répondants et les répondantes ne semblent pas très différents de ceux de leurs aînés ou aînées.

Figure 2 : Attentes concernant les concerts, festivals, par rapport à l’écoute de musique chez soi (source : étude Pass Culture, Concerts et festivals : Quel regard les jeunes posent sur la musique live ?)

L’âge de l’entrée dans le concert

Du point de vue de l’âge, les personnes qui composent la « Gen Z » sont à un moment charnière de leur carrière d’amateurs et d’amatrices de musique. Les entretiens menés par le CNM résonnent ici avec ce qui a pu être mis en avant par d’autres études16Hennion A., Maisonneuve S. et Gomart E., Figures de l’amateur : Formes, objets, pratiques de l’amour de la musique aujourd’hui, Paris, La Documentation française, 2000 ; Ribac F., « L’apprentissage des musiques populaires, une approche comparatiste de la construction des genres », dans Ayral S. et Raibaud Y. (dir.), Pour en finir avec la fabrique des garçons. Vol. 2  : Sport, loisirs, culture. Pessac, Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 2014 ; Martet S., Découverte et partage des goûts musicaux : Une analyse des parcours d’auditeurs de jeunes adultes montréalais, thèse de doctorat, Montréal, Université du Québec à Montréal, 2017. : c’est souvent durant cette période — quelque part entre la fin de l’adolescence et le début de l’âge adulte — que les personnes se rendent à leurs premiers concerts, en groupe de pairs sans leurs parents, et installent leurs habitudes. Marguerite (19 ans en 2022), par exemple, explique qu’après être allée à de nombreux concerts avec ses parents, elle s’est rendue à son premier « vrai » concert dans un festival avec ses amis et ses amies en mentant à ses parents sur le projet de la sortie. Pour beaucoup, ces premières expériences marquent la découverte d’une facette nouvelle de ce qu’est un concert de musiques actuelles. Si certains ou certaines ont déjà assisté à des concerts avec leurs parents, tant le répertoire que les modalités de l’expérience (par exemple se rendre dans la fosse plutôt que de rester en tribune) ne sont bien souvent pas les mêmes. Aurore (16 ans en 2022) se rappelle, ainsi, avoir été fascinée par les mouvements de foule, notamment lorsque le public a lancé une ola. Elle a également été amusée par le fait de pouvoir regarder le concert sur les écrans de part et d’autre de la scène comme elle pourrait le faire chez elle. Ce genre de récit fait d’étonnements et d’enthousiasme est partagé par de nombreux répondants et répondantes.

Toutefois, ce passage ne se fait pas de manière homogène17Kinnunen M., Homi H. et Honkanen A., « Live Music Consumption of the Adolescents of Generation Z », Etnomusikologian vuosikirja, vol. 34, 2022, p. 65‑92.. Pour quelques-uns et unes, les sorties à des concerts s’organisent autour de quelques artistes dont ils et elles se présentent comme des « fans ». Marie (16 ans en 2022), par exemple, raconte ses premières expériences de concerts de K-Pop. Elle insiste sur son rapport particulier à l’artiste qui passe notamment par des objets de merchandising propres aux fans18Nesti E., « “Je la regarde et je danse”. Fans à la recherche d’un soutien dans le mouvement d’un corps performant », Ateliers d’anthropologie, no 50, 2021, en ligne : https ://journals.openedition.org/ateliers/14876.. Les fans du groupe coréen BTS, par exemple, sont invités à venir aux concerts du groupe équipés d’un army bomb, une sorte de stick lumineux spécialement conçu. « Tu vas à un concert si tu connais l’artiste pour chanter les paroles », ajoute-t-elle. D’autres entretiennent avant tout un attrait pour l’expérience du concert elle-même et pour le lien qui s’y noue avec les artistes. C’est le cas de Clara (23 ans en 2022) qui note de manière consciencieuse dans un tableau Excel tous les concerts auxquels elle s’est rendue. Elle justifie que les concerts qu’elle fréquente sont « plus représentatifs » de ses goûts musicaux que ses écoutes sur Spotify. D’autres encore, au contraire, vont peu aux concerts. Leurs quelques sorties sont le fait de pairs. Ainsi, Kingsley (25 ans en 2022) se rappelle que son frère l’a « motivé » pour aller à un festival, parce qu’il n’y avait « pas grand-chose d’autre à faire ». Enfin, une poignée s’investit directement dans l’organisation de concerts. Marguerite (19 ans en 2022) explique : « Je ne vais pas à beaucoup de concerts parce que je n’ai pas beaucoup d’argent. » En revanche, elle s’investit dans une association qui organise un festival ainsi que des concerts. Elle insiste sur la dimension non seulement esthétique, mais également militante de ses fréquentations de concert.

Si ces récits mettent en avant la diversité des modalités de moment de passage, ils soulignent aussi que ces modalités ne sont pas détachées de leur environnement de vie. À ce titre, l’étude du POLE montre que, dans les Pays de la Loire, 41 % des enfants de familles d’ouvriers et d’agriculteurs ne vont jamais en concert, alors que ce taux est uniquement de 15 % chez les enfants de cadres19Hannecart C., Crusson N. et Fourrage H., Rapports des jeunes à la musique à l’ère numérique. Synthèse de l’enquête menée en Pays de la Loire, Le POLE, 2015.. Les résultats décrivent également des différences importantes en termes de pratiques et de consommation musicale : lieux fréquentés, genres musicaux écoutés, etc.

Ce rapide panorama permet de souligner des différences dans le rapport des 13-26 ans au concert, non seulement vis-à-vis des formats et des lieux fréquentés, mais également des outils, des dispositifs, des médiations20Sur la notion de médiation, voir Hennion A., La Passion musicale. Une sociologie de la médiation, Paris, Métailié, 1993par lesquels s’installent leurs habitudes. En somme, si la tentation d’uniformiser cette « génération » existe, il est impératif de garder à l’esprit l’hétérogénéité des pratiques et des rapports aux concerts. De ce point de vue, les enjeux liés par exemple au genre, à l’âge ou aux environnements de vie ne doivent pas être occultés.

Massification du concert, la fin d’une « pratique jeune »

Nous avons jusqu’ici passé en revue certains éléments qui semblent caractériser les habitudes de la « Gen Z ». Toutefois, le secteur du live s’est également beaucoup transformé au cours des cinquante dernières années21Guibert G. et Sagot-Duvauroux D., Musiques actuelles : Ça part en live, Paris, IRMA, 2013 ; Frith S., Brennan M., Cloonan M. et Webster E., The History of Live Music in Britain, Volume 3, 1985-2015: From Live Aid to Live Nation, Londres, Routledge, 2021 ; Waksman S., Live Music in America: A History from Jenny Lind to Beyoncé, Oxford, Oxford University Press, 2022.. Il a connu un nouvel essor économique22Guibert G. et Sagot-Duvauroux D., Musiques actuelles, op. cit. ; Holt F., « The Economy of Live Music in the Digital Age », European Journal of Cultural Studies, vol. 13, no 2, 2010, p. 243‑261 ; Holt F., Everyone Loves Live Music, op. cit., alors même qu’il avait été pendant longtemps considéré, par l’industrie musicale, comme une activité périphérique jugée difficilement rentable23Frith S., « La musique live, ça compte… », Réseaux, vol. 141‑ 142, nos 2 et 3, 2007, p. 179‑201.. Tant en France qu’à l’international, le nombre de spectacles musicaux a fortement crû. En France, les représentations de musiques actuelles sont ainsi passées de 44 860 en 2010 à 73 056 en 201724La Diffusion des spectacles de musiques actuelles et de variétés en France, Centre national de la musique, 2022, en ligne : https ://cnm.fr/wp-content/uploads/2023/01/CNM_CDLD_22_MaMA.pdf..

Cette massification des concerts s’accompagne de ce que le ministère de la Culture qualifie d’un « tassement des pratiques25Lombardo P. et Wolff L., « Cinquante ans de pratiques culturelles en France », Culture études, vol. 2, no 2, 2020, p. 50. ». En 1997, 29 % de la population française déclaraient s’être rendus à un concert au cours de douze derniers mois contre 34 % en 201826Présentation de l’enquête du DEPS dans le cadre du colloque « 40 ans de fêtes de la Musique ». En ligne : ministère de la Culture, « Colloque “40 ans de fêtes de la Musique” », YouTube, 16 juin 2022, en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=A45RmTljHkQ.. Les moins de 26 ans font donc leur entrée dans la pratique du concert au moment où celle-ci est de plus en plus diffusée. De plus, comme le montre le graphique ci-dessous, alors que se rendre à concerts variétés était considéré comme une « pratique jeune » dans les années soixante-dix et quatre-vingt, ce n’est plus du tout le cas. Les chiffres du ministère de la Culture attestent d’une convergence des pratiques entre les tranches d’âge. « Contrastées, parfois divergentes selon le type de spectacle, les évolutions observables concernant l’ensemble du spectacle vivant se traduisent dans l’ensemble par une réduction importante des écarts de pratiques qui prévalaient jusque-là, en particulier en termes d’âge et de lieu de vie27Lombardo P. et Wolff L., « Cinquante ans de pratiques culturelles en France », art. cité, p. 59.. » Ces chiffres laissent même entrevoir une baisse de la fréquentation des concerts de variété depuis les années soixante-dix dans la tranche d’âge des 15-24 ans28Cette baisse est même encore plus forte pour la catégorie « rock ou jazz ». Toutefois, il reste difficile d’évaluer s’il ne s’agit pas d’un effet de nomenclature et notamment de l’absence d’une modalité de réponse « rap ». (voir graphique ci-dessous). Pour l’ensemble des concerts, les chiffres disponibles indiquent que, pour la tranche d’âge 15-24 ans, la fréquentation d’un concert au cours de douze derniers mois est passée de 40 % en 1997 à 37 % en 2018.

Figure 3 : Évolution de la fréquentation des spectacles de variété nationale et internationale selon l’âge, 1973-2018 (en % ayant assisté à un concert de variété nationale ou internationale au cours des douze derniers mois) (source : enquête sur les pratiques culturelles, 1973-2018, DEPS, ministère de la Culture, 2020)

D’autres rapports s’inquiètent d’une possible baisse de la fréquentation des plus jeunes. Le Baromètre des pratiques culturelles des Français en matière de spectacles musicaux et de variété indique ainsi que si les plus jeunes (moins de 35 ans) vont plus à des concerts que la moyenne des Français, 44 % des répondants et répondantes de la tranche 15-24 ans indiquent réfléchir à réduire leur fréquentation29Baromètre des pratiques culturelles des Français en matière de spectacles musicaux et de variété, Prodiss et Observatoire du live, 2022.. Les raisons principalement avancées pour justifier cette position (toutes classes d’âge confondues) sont des préoccupations financières (48 %), une perte d’envie de se déplacer (30 %), la peur de la COVID-19 (22 %) ou le choix de consacrer du temps à d’autres activités (19 %).

Ce constat est en partie partagé par plusieurs des participants et participantes aux deux ateliers qui relaient une inquiétude autour de la fréquentation des plus jeunes et déplorent un vieillissement du public de leur structure. Comme le relève justement une professionnelle, « on est en train de perdre nos jeunes ». Cette situation un peu paradoxale les rapproche des problématiques de renouvellement des publics rencontrées, depuis de nombreuses années, par les institutions de musiques savantes30Menger P.-M., « L’oreille spéculative. Consommation et perception de la musique contemporaine », Revue française de sociologie, vol. 27, no 3, 1986, p. 445‑ 479 ; Dorin S., Déchiffrer les publics de la musique classique. Perspectives comparatives, historiques et sociologiques, Paris, Archives contemporaines, 2018..

Cependant, il reste difficile de tirer des constats définitifs de ces chiffres. D’une part, la baisse mise en évidence demeure faible. D’autre part, la part de la population qui se rend à des concerts reste largement minoritaire (à peine un tiers des plus de 15 ans, voir ci-dessus). Elle l’est encore davantage pour celles et ceux qui s’y rendent de manière assidue. Dans les chiffres de l’étude du POLE, les jeunes qui vont à plus de trois concerts par an ne représentent que 14 % des sondés et sondées31Hannecart C., Rapports des jeunes à la musique à l’ère numérique. Synthèse de l’enquête menée en Pays de la Loire, op. cit.. De ce point de vue, les études en population générale comportent une limite importante pour rendre compte avec finesse des dynamiques de fréquentation qui tiennent davantage aux publics le plus assidus. Par ailleurs, tant les entretiens menés par le CNM que les recherches qualitatives qui se sont intéressées — parfois de manière un peu détournée — à ces enjeux32Voir par exemple Riom L., Faire compter la musique. Comment recomposer le live à travers le numérique (Sofar Sounds 2017-2020), op. cit. ; Turbé S., Observation de trois scènes locales de musique métal en France : Pratiques amateurs, réseaux et territoire, thèse de doctorat, Metz, Université de Lorraine, 2017 ; Spanu M., Pratiques et représentations des langues chantées dans les musiques populaires en France : Une approche par trois enquêtes autour du français, de l’anglais et de l’occitan, thèse de doctorat, Metz, Université de Lorraine, 2017 ; Kjus Y., Live and Recorded, op. cit. ; Holt F., Everyone Loves Live Music, op. cit. ; Green B., Peak Music Expériences: A New Perspective on Popular Music, Identity and Scenes, Londres, Routledge, 2022. ne laissent aucunement entrevoir une désaffection massive des concerts de la part des 13-26 ans.

En revanche, les résultats de ces études soulignent qu’au moins trois transformations majeures qui ont marqué le secteur du live depuis le tournant des années 2000 se reflètent dans l’entrée des 13-26 ans dans la pratique du concert. Premièrement, les festivals occupent une place grandissante, et leur nombre a considérablement crû33Edwidge Millery et ses collègues estiment que près de la moitié des festivals a été créée au cours de la dernière décennie. Millery E., Négrier E. et Coursière S., « Cartographie nationale des festivals  : entre l’éphémère et le permanent, une dynamique culturelle territoriale », Culture études, vol. 2, no 2, 2023, p. 1‑32.. Ces événements organisent désormais largement le rythme des saisons de tournées, notamment des artistes internationaux34Négrier E., Djakouane A. et Jourda M.-T., Les Publics des festivals, Paris, Michel de Maule, 2010 ; Bennett A., Woodward I. et Taylor J., The Festivalization of Culture, Farnham, Ashgate Publishing, 2015.. De la même manière, les grandes arénas, de type Zénith, occupent une place prépondérante dans l’installation des habitudes. Le Baromètre des pratiques culturelles des Français en matière de spectacles musicaux et de variété abonde dans ce sens35Baromètre des pratiques culturelles des Français en matière de spectacles musicaux et de variété, op. cit. Il souligne que les 15-24 ans préfèrent les grandes salles aux petites salles. Cette tendance est également présente dans les chiffres de l’étude du POLE36Hannecart C., Rapports des jeunes à la musique à l’ère numérique. Synthèse de l’enquête menée en Pays de la Loire, op. cit.. Ce type d’équipement est récent et répond en partie aux transformations du secteur du live évoquées plus haut37Kronenburg R., This Must be the Place: An Architectural History of Popular Music Performance Venues, New York, Bloomsbury, 2019.. À titre d’exemple, si le Zénith de Paris date de 1984 et celui de Montpellier de 1986, le reste de ces salles ont été construites au cours des années quatre-vingt-dix et deux mille. Deuxièmement, le secteur du live connaît un fort phénomène de concentration économique38En France, un travail journalistique a permis de montrer ainsi que tant les principales salles que les plus importants festivals sont contrôlés par quelques grands groupes internationaux : https ://www.vousnetespaslaparhasard.com/. Voir également : Holt F., Everyone Loves Live Music, op. cit. et de mondialisation du marché. À ce titre, une large partie des artistes cités au cours des entretiens menés par le CNM sont des artistes internationaux, notamment américains et coréens. Enfin, troisièmement, de nombreuses études internationales ont souligné l’augmentation du prix des billets, notamment pour les plus gros concerts39Behr A. et Cloonan M., « Going Spare? Concert Tickets, Touting and Cultural Value », International Journal of Cultural Policy, vol. 26, no 1, 2018, p. 95-108 ; Connolly M. et Krueger A., « Rockonomics: The Economics of Popular Music », Handbook of the Economics of Art and Culture, vol. 1, 2006, p. 667‑719.. Cette augmentation impacte les pratiques des 13-26 ans. Ariane (16 ans en 2022) raconte, par exemple, avoir hésité à aller voir Orelsan en concert, car c’était un « investissement ». Elle explique qu’elle était stressée à l’idée de dépenser autant d’argent et de risquer de s’ennuyer. Lors des ateliers, plusieurs membres du secteur se sont montrés conscients des enjeux liés à l’inflation des prix.

Après ce premier panorama, la suite de cette onde courte est organisée en deux temps. La prochaine section explore de manière plus approfondie le rapport des 13-26 ans au concert du point de vue de leur usage d’Internet et des réseaux sociaux. La troisième section visera, elle, à esquisser quelques pistes pour poursuivre la réflexion.

Mettre le live sur Internet (mais aussi Internet dans le live)

Le rapport entre Internet et musique live n’est pas évident. Alors que les plateformes de streaming et les réseaux sociaux sont devenus les principaux supports d’écoute musicale chez les jeunes40L’Enquête sur les pratiques culturelles 2018 inique que 90 % des 15-24 ans écoutent de la musique sur des supports numériques (fichiers numériques, services en ligne). Voir DEPS, Chiffres clés 2022, ministère de la Culture, 2022. MIDiA rapporte qu’au Royaume-Uni, 53 % des 16-19 ans utilisent Spotify de manière quotidienne. De manière générale, les études s’accordent également sur le fait que les moins de 26 ans payent pour avoir accès à une offre de streaming. Néanmoins, si l’écoute en streaming est très largement diffusée dans cette classe d’âge, d’autres pratiques ont leur place. Toujours selon les chiffres du DEPS, 24 % des 15-24 ans écoutent de la musique sur des supports physiques (CD, cassettes, vinyles). Sur ce sujet, voir également Nowak R., Consuming Music in the Digital Age, op. cit. ; Gilliotte Q., « La persistance de l’attachement aux biens culturels physiques », Biens symboliques, vol. 9, 2021, en ligne : https://journals.openedition.org/bssg/864 ; Baromètre de la consommation de biens culturels dématérialisés, Hadopi, 2021., on peut s’interroger, d’une part, sur la place du live dans les environnements en ligne et, d’autre part, sur la façon dont ces dispositifs viennent enrichir, prolonger, ou contraindre les expériences musicales en concert. L’articulation de ces questions est apparue, au fil des discussions avec les gens du métier comme un défi important. Celui-ci interroge tant la communication des festivals et des salles de concert que leur présence sur Internet.

Écouter de la musique en 2022, une pratique connectée

L’ensemble des rapports sur les pratiques de consommation de la « Gen Z » insistent sur l’importance des réseaux sociaux dans leurs pratiques musicales. Leur utilisation des réseaux sociaux est non seulement très conséquente, mais surtout permanente41Par exemple, pour le Royaume-Uni, voir Mulligan M., Gen Z. Meet The Young Millennials, MiDiA, 2017. Pour les États-Unis, voir Darstaru A., « What Clicks with Gen Z », Creatopy, juillet 2022, en ligne : https://www.creatopy.com/blog/whitepaper-what-clicks-with-gen-z/.. En France, un sondage de 2022 montre qu’en 2021 les réseaux sociaux les plus utilisés étaient : Instagram (84 %) et Snapchat (76 %), puis TikTok (52 %), Facebook et Twitter (voir ci-dessous)42Bautier M., « Réseaux sociaux : les 16-25 ans abandonnent Facebook pour TikTok », Diplomeo, 3 février 2022, en ligne : https://diplomeo.com/actualite-sondage_reseaux_sociaux_jeunes_2022.. La même étude montre de forts changements dans l’adoption de ces réseaux. Facebook est, par exemple, passé de 93 % d’utilisation en 2017 à 48 % en 2021 chez les répondants et répondantes, au contraire de TikTok qui n’existait pas en 2017 et qui désormais se situe en troisième position de ce classement.

Figure 4 : Les réseaux sociaux les plus utilisés en France en 2021 (source : Diplomeo)

Les entretiens menés par le CNM font abondamment état des pratiques des réseaux sociaux en lien avec la musique, de manière générale, et avec le concert en particulier. Partager l’annonce d’un concert avec ses amis, acheter son billet, se donner rendez-vous, trouver son chemin, présenter son billet à l’entrée de la salle, prendre une photo de l’artiste sur scène : il paraît inimaginable aujourd’hui de se rendre à un concert sans smartphone43On peut d’ailleurs noter que l’on sait encore peu de chose de la multiplication des applications qui visent à accompagner l’expérience d’un concert : partage de setlist, billetterie en ligne, recommandation, etc. Nikolas (20 ans en 2022) explique, par exemple, que lorsqu’il va à des concerts, dans la file d’attente, il scrolle les stories de l’artiste, d’artistes potentiellement invités ou de la salle de concert. De cette manière, il espère avoir accès aux coulisses ou savoir si l’artiste annonce des guests. Pendant le concert, il fait également souvent une story pour dire qu’il est au concert « et pour le souvenir ». Cela ne l’empêche pas d’échanger avec les personnes autour de lui.

Les réseaux sociaux accompagnent, mais aussi préparent le concert. Clara (23 ans en 2022) raconte qu’au début de la tournée du musicien californien Steve Lacy, le public ne connaissait que « son TikTok le plus connu » (c’est-à-dire un extrait de l’une de ses chansons). Elle explique que cela a beaucoup énervé l’artiste — qui l’a fait savoir sur les réseaux sociaux — et provoqué une réaction de son public: en effet, lorsqu’elle l’a vu en concert lors de son passage au Trianon, le public connaissait finalement les paroles de toutes les chansons. Cet exemple rend bien compte de la complexité de l’articulation entre écoutes en ligne et ce qui se passe pendant les concerts. Il permet surtout de souligner que l’un ne remplace pas l’autre, mais que l’enjeu est bien la façon dont des dispositifs et des habitudes s’agencent ensemble. En revanche, il ressort de ces entretiens que le concert est rarement la première rencontre avec un artiste.

Les entretiens menés par le CNM montrent clairement que le smartphone et les réseaux sociaux sont devenus des « prothèses44Nova N., Smartphones, Genève, Métis presses, 2020. » incontournables des concerts. Ces nouveaux équipements renseignent, guident, prescrivent, documentent. Ils laissent imaginer également d’autres formes d’expérience de la musique live, dont les plus jeunes sont à tort ou à raison considérés comme les premiers adeptes.

Nouveaux formats, concerts augmentés ?

Les confinements qui ont suivi l’émergence de la pandémie de COVID-19 ont donné lieu à une phase importante d’expérimentation et ont mis en avant un ensemble de technologies proposant des expériences de concert : livestreaming, réalité virtuelle ou réalité augmentée45Trottier-Pistien F., « “C’est ça le futur des soirées ?” Les musiques électroniques de danse à l’épreuve du livestream et de la COVID-19 », Communiquer, no 35, 2022, p. 81‑ 99 ; Bigay R., « Ce que le livestream fait au live », Communiquer, no 35, 2022, p. 25‑37 ; Guibert G. et Lussier M., « La musique live en contexte numérique. Captation, diffusion, valorisation, usages », Communiquer, no 35, 2022, p. 1‑ 6 ; d’Hoop A. et Pols J., « “The Game is On!” Eventness at a Distance at a Livestream Concert during Lockdown », Ethnography, 2022, en ligne : https://doi.org/10.1177/14661381221124502 ; Guibert G., « Live Performance and Filmed Concerts: Remarks on Music Production and Livestreaming before, during, and after the Public Health Crisis », Ethnomusicology Review, vol. 24, 2023, en ligne : https://ethnomusicologyreview.ucla.edu/journal/volume/24/piece/1099.. Différentes études montrent une certaine appétence de la « Gen Z » pour ces nouveaux formats. Selon l’Étude prospective sur le marché du livestream musical en France46Étude prospective sur le marché du livestream musical en France, Arcom et CNM, 2022., les jeunes sont plus consommateurs de livestream que la majorité des Français et Françaises (voir ci-dessous). De la même manière, l’étude Les Français et les spectacles vivants47Les Français et les spectacles vivants, Prodiss, 2022. souligne que les jeunes sont davantage tentés par l’expérience d’un concert dans le métavers (50 %) ou en réalité augmentée (52 %). Toutefois, il faut relever que, le plus souvent, cet attrait ne s’oppose pas à la fréquentation de concerts. Au contraire, ce genre de pratiques est diffusé chez les individus qui se rendent très régulièrement à des concerts. Elles semblent plutôt complémenter l’expérience du concert, voire la prolonger.

Figure 5 : Profil des internautes, des consommateurs de concerts physiques et de livestream (en rouge et en vert les différences significatives avec le profil des internautes) (source : Arcom-CNM)

Sur ce point, il est intéressant de noter que les dernières années ont vu une multiplication des formats de captation et une forme de brouillage des frontières entre musique live et musique enregistrée48Pour un panorama, voir Riom L. et Spanu M., « Les nouvelles médiations audiovisuelles de la musique live : Formats, industrie et patrimoine culturel numérique », SociologieS, à paraître.: sessions live disponibles en ligne (NPR Tiny Desk, Colors, KEXP, Sofar, Blogothèque), concerts dans des mondes virtuels (Fortnite ou Roblox), ou plateformes de livestreaming49Sur ces développements en Corée du Sud, voir Won H., « La possibilité d’un nouveau modèle économique avec les concerts en ligne : Un regard socio-économique sur la K-Pop en Corée du Sud », SociologieS, à paraître.. Inversement, les festivals et salles de concert utilisent activement le streaming audio et vidéo dans leur communication, créant de nouveaux ponts entre ces deux formats d’écoute musicale50Danielsen A. et Kjus Y., « The Mediated Festival: Live Music as Trigger of Streaming and Social Media Engagement », Convergence, vol. 25, no 4, 2019, p. 714‑734.. Dans les entretiens menés par le CNM, ces nouveaux formats apparaissent davantage comme des à-côtés. Clara (23 ans en 2022) regarde, par exemple, régulièrement des contenus publiés par le webzine Grunt, tandis que Nikolas (20 ans en 2022) visionne ceux du média en ligne Brut. Pourtant, Clara comme Nikolas se rendent très souvent à des concerts. L’intérêt de la gratuité de ce genre de format est souligné. Par exemple, Kingsley (25 ans en 2022) a vu en différé des extraits du concert de Travis Scott sur Fortnite. Il a trouvé ce concert impressionnant et spectaculaire : « C’était vraiment lui, sa musique. » Il est le seul à avouer que ce type de format lui permet de ne pas se rendre à des concerts pour lesquels il n’a pas suffisamment d’intérêt. Pour d’autres, les captations de concerts ou les concerts en ligne rendent compte de la performance d’un artiste et peuvent convaincre d’acheter un billet jugé cher (voir plus haut).

Du côté de certains professionnels et leurs consœurs, les diffusions en direct ou les captations sont vues comme un moyen d’atteindre les jeunes. Plusieurs relèvent que YouTube connaît un fort renouveau et ont été surpris du nombre de vues de certains contenus postés en ligne. D’ailleurs, ces vues ne sont pas forcément en direct et les « replays » génèrent parfois des statistiques de visionnage « exceptionnelles », ce qui a étonné plusieurs participants ou participantes aux ateliers. « On est assez surpris de voir que le contenu vit sans l’expérience du moment T », note une participante.

Les concerts trouvent donc bien une place dans les environnements médiatiques en ligne. Toutefois, la rencontre entre ces deux espaces — le concert dans la salle ou le festival et les multiples existences parallèles sur les réseaux sociaux — n’est pas évidente à réussir.

Un espace médiatique qui échappe aux salles de concert et aux festivals

Les douze jeunes interviewés par le CNM passent abondamment par les réseaux sociaux, Instagram et TikTok en tête, pour se tenir au courant de l’actualité musicale. De leur côté, les professionnels et professionnelles ont insisté sur leurs difficultés à se rendre visibles au sein de ces environnements médiatiques. Pour commencer, communiquer sur les réseaux sociaux demande des moyens importants. Les équipes n’ont pas toujours les ressources humaines suffisantes pour se saisir de cette tâche. La difficulté est accentuée par le fait que chaque réseau social dispose d’une logique de publication propre et demande bien souvent un contenu spécifique pour obtenir un bon « reach ». Ainsi, si plusieurs salles et festivals communiquent régulièrement sur Facebook et Instagram, se placer sur Snapchat ou TikTok nécessiterait de leur part de penser différemment leur stratégie. Ces deux plateformes proposent, avant tout, des contenus vidéo qui exigent une communication adaptée. La responsable de la communication d’un festival explique : « Snapchat, on est absolument out là-dessus parce que c’est l’endroit de la face caméra et des moments montrés à des amis. Donc, notre présence n’est pas vraiment intéressante. On essaye plutôt de créer des moments dans le festival que nos festivaliers vont vouloir partager et être nos relais d’influence sur cette plateforme. »

Si la réalisation de contenus digitaux promotionnels (bannering, stories, etc.) reste à portée de main, les contenus qui sont les plus plébiscités sur ces réseaux, comme les interviews face caméra, sont plus complexes à produire. Ils nécessitent la présence de l’artiste, en amont du concert, ou encore du personnel et des techniques propres aux médias. Dans les ateliers, certaines personnes se demandent également si cette tâche doit vraiment revenir aux professionnels et professionnelles du concert. Enfin, tous et toutes soulignent que la présence sur un réseau social appelle à des publications régulières pour avoir une chance de gagner en visibilité.

Cette multiplication des formats représente une deuxième difficulté. Plusieurs sur cette question ont souligné que les plateformes évoluent rapidement, demandent un travail de veille sur les usages et un renouvellement régulier de leur stratégie de communication. Une participante aux ateliers indique : « Il y a cinq ans, on a suivi une formation sur les réseaux sociaux, et c’était centré sur Twitter. Aujourd’hui, c’est TikTok. » Les structures peinent à suivre ces évolutions. Elles se retrouvent à opérer des transferts coûteux de leur communauté depuis un réseau (en perte de vitesse) vers un autre (en croissance). En outre, les community managers les plus âgés sont maintenant rodés sur Facebook, mais ont du retard sur les nouveaux réseaux. Les salles et les festivals admettent se concentrer sur la création d’expériences partageables sur les réseaux — « instagrammables » — ou tâchent de faire venir des Youtubeurs et des Youtubeuses pour animer le lieu, et de déléguer la création et la diffusion des contenus réseaux aux artistes ou au public eux-mêmes.

Le troisième enjeu dépasse uniquement la question de la communication des structures de production de concert et se pose à l’ensemble des acteurs médiatiques de la musique (presse, blog, journaux). Nos interlocuteurs et interlocutrices relèvent que ceux-ci partagent en partie les difficultés qu’ils et elles rencontrent. De fait, sur ces nouveaux réseaux, les professionnels et professionnelles du concert ne peuvent pas compter sur les acteurs avec qui ils ont l’habitude de travailler. Au contraire, ils et elles sont amenés à apprendre à collaborer avec de nouveaux « influenceurs » ou prescripteurs. Lors des ateliers, un véritable manque à ce niveau a ainsi été souligné. Plus largement, les valeurs qui sont défendues sur les réseaux vont parfois à l’encontre de celles défendues par certains participants ou certaines participantes et leurs structures. Les formats courts de ces plateformes posent également des questions sur la manière dont elles façonnent la production et la diffusion des contenus musicaux, comme dans l’exemple rapporté plus haut par Clara51Dans les Mondes de l’art, Howard Becker évoquait déjà ce rapport compliqué entre la production musicale et le temps à disposition des musicien-nes s et musiciennes sur les supports d’enregistrement. Becker H. S., Les Mondes de l’art, Paris, Flammarion, 2010.. À ce titre, ils et elles manquent d’alternative offrant des modalités de communication cohérentes avec leur image. Inversement, l’adaptation des stars d’Internet aux concerts ne va pas de soi. Parmi les jeunes gens interviewés par le CNM, Pearl (13 ans en 2022) explique écouter de la musique de Youtubeurs, mais que si elle se rendait à un de leurs concerts, ce serait plus pour les voir eux que parce qu’elle aime vraiment leur musique. D’ailleurs, plusieurs Youtubeurs et Youtubeuses ont tenté des tournées sans connaître le succès attendu52Sur la façon dont les codes de YouTube sont utilisés par les artistes, voir notamment Creton C., « Approche communicationnelle des scènes musicales locales face à l’offre médiatique numérique : le cas nantais », thèse de doctorat, Rennes, Université de Rennes 2, 2019 ; Creton C., « L’image au cœur des pratiques communicationnelles des scènes musicales », Revue française des sciences de l’information et de la communication, no 18, 2019, en ligne : https://journals.openedition.org/rfsic/8262#quotation..

Le défi est bien de savoir par quels moyens faire exister les salles de concert sur les réseaux sociaux. À ce titre, on peut se demander s’il n’y a pas une forme de cloisonnement entre certains lieux de diffusion et les espaces médiatiques fréquentés par les 13-26 ans. Dans certains cas, il est frappant de noter que c’est avant tout l’artiste qui est le vecteur de communication vers ce qui devient son public53Hracs B. J., Jakob D. et Hauge A., « Standing out in the Crowd: The Rise of Exclusivity-Based Strategies to Compete in the Contemporary Marketplace for Music and Fashion », Environment and Planning A, vol. 45, no 5, 2013, p. 1144‑1161 ; Baym N. K., Playing to the Crowd: Musicians, Audiences, and the Intimate Work of Connection. New York, NYU Press,2018 ; Riom L., « Discovering Music at Sofar Sounds: Surprise, Attachment, and the Fan–Artist Relationship », dans Tofalvy T. et Barna E. (dir.), Popular Music, Technology, and the Changing Media Ecosystem. Cham, Springer, 2020, p. 201‑216.. Les entretiens menés par le CNM confirment le constat des gens du métier : l’attachement des plus jeunes à une salle en particulier reste assez rare. C’est avant tout le nom des artistes qui compte dans leur consommation de concert54En 1991, Antoine Hennion relevait ces différentes médiations qui réalisent la relation artistes-public : « Ces montages asymptotiques sont des schémas performatifs, des efforts pour “produire” la musique, en définissant au passage, au sens le plus fort du terme passage, ses sujets, ses objets et ses moyens. » Hennion A., « Scène rock, concert classique », op. cit.. De ce point de vue, les publics « jeunes » posent un problème aux membres du secteur : comment trouver d’autres moyens pour toucher ce public ? La dernière section de cette onde courte propose quelques pistes de réflexion à ce sujet.

Comment le concert vient-il à la « Gen Z » ?

Jusqu’ici, cette onde courte s’est appliquée à faire un état de la situation actuelle. Nous avons notamment vu de quelle façon les réseaux sociaux, Internet et les pratiques qui les accompagnent viennent perturber et réinventer les liens entre le concert et ses publics. Cette dernière section vise à esquisser certains des enjeux qui se posent aux acteurs et actrices du secteur. Pour ce faire, elle part d’une question relativement simple : comment le concert vient-il à la « Gen Z »55Est ici fait référence à la formulation d’Antoine Hennion pour étudier les cours de solfège. Hennion A., Comment la musique vient aux enfants. Une anthropologie de l’enseignement musical, Paris, Anthropos, 1988. ? Ou plutôt, dans le cas qui nous préoccupe, comment ne viendrait-il pas ou plus ? En interrogeant la « mise en public » des concerts, c’est-à-dire de l’ensemble des passages qui font venir un public dans une salle56Riom L., « Mettre la musique en public : quelques réflexions à partir d’une ethnographie des soirées de Sofar Sounds » dans Rescigno A., Turbé S. et Valkauskas E. (dir.), Le Public dans tous ses états, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2022., cette section examine trois enjeux qui méritent d’être pris à bras le corps pour penser le rapport des nouvelles générations aux salles de concert et aux festivals : les goûts de la « Gen Z » ; les raisons d’un éventuel sentiment d’éloignement vis-à-vis des salles de concert et des festivals ; et la participation de cette génération au sein des structures. Sans entrer dans une forme d’alarmisme, le pari est, ici, d’explorer jusqu’au bout l’hypothèse — encore difficilement vérifiable à partir des données dont nous disposons — d’un potentiel désintérêt des jeunes ou de certains et certaines d’entre eux pour le concert. Chacun de ces trois enjeux laisse entrevoir des possibilités de décalage et peut contribuer à comprendre pourquoi le concert ne viendrait pas, ou plus, aux jeunes.

Les goûts de la « Gen Z » : la prescription en mouvement

Les goûts musicaux des plus jeunes suscitent de nombreuses spéculations entre prédiction d’un retour du rock ou, au contraire, affirmation de l’hégémonie indétrônable des musiques urbaines. Cette question est néanmoins intéressante, parce qu’elle permet de revenir sur le rôle de prescription des salles de concert. En effet, pour prescrire, il ne suffit pas d’ordonner, mais il faut également s’engager dans un travail, accompagner la prescription, l’ajuster tant à ce qui est prescrit qu’à celui à qui on prescrit57Delcambre P., « Prescrire comme opération sociale », Territoires contemporains, no 11, 2019, en ligne : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/prescription-culturelle-question/Pierre-Delcambre.html ; Sklower J., Le Gouvernement des sens. Militantisme jeune communiste, médias et musiques populaires en France (1955-1981), thèse de doctorat, Paris, Université Sorbonne Nouvelle, 2020.. Toute structure, qu’elle soit salle ou festival, aimerait bien être en mesure d’immédiatement satisfaire les goûts de la « Gen Z ». Toutefois, celles et ceux qui participèrent aux ateliers relèvent très justement la difficulté de la tâche : quelle musique fait venir les publics jeunes ? Il faut « rester à la page », « rechercher l’actualité », comme l’explique le directeur d’une salle spécialisée dans le rap.

De l’aveu de ces mêmes professionnels et professionnelles, le paradoxe est bien qu’il ne s’agit pas de leur musique. Cette question est d’autant plus délicate que, comme nous l’avons vu, le paysage médiatique qui entoure les salles s’est passablement transformé. De ce point de vue, le rap ou les musiques urbaines sont un point de tension. Ces genres musicaux entretiennent une forme de distance vis-à-vis d’une partie du secteur, même si ce point tend à changer. De fait, si les « musiques urbaines » — notamment sous l’impulsion des écoutes de plus jeunes — trustent les premières places des charts du streaming, elles restent minoritaires dans les programmations des salles de concert et des festivals. Une explication avancée par plusieurs personnes lors des ateliers est la difficulté à programmer des artistes qui connaissent des succès fulgurants et deviennent rapidement financièrement hors de portée de leurs structures. De ce point de vue, les carrières dans le rap correspondent mal aux circuits indépendants, qui accordent une place importante aux concerts dans le développement d’un projet artistique.

Cette incompréhension semble s’étendre à des enjeux organisationnels. Sont invoqués un manque de professionnalisme et des difficultés à travailler avec les entourages de ces artistes : improvisation, demandes logistiques inconsidérées ou annulation de dernière minute. Ces personnes pointent aussi une autre manière d’envisager le concert pour des artistes « habitués ou habituées à des passages de trente minutes en boîte de nuit ». Au cours des trente dernières années, notamment pour répondre aux exigence de l’État58Chiapello E., « Les organisations et le travail artistiques sont-ils contrôlables ? », Réseaux, vol. 15, no 86, 1997, p. 77‑ 113 ; Brandl E., L’Ambivalence du rock, entre subversion et subvention : Une enquête sur l’institutionnalisation des musiques populaires, Paris, L’Harmattan, 2009., les salles de concert et les festivals ont réalisé d’importants efforts de professionnalisation. Cette structuration du secteur semble freiner l’intégration de nouveaux entrants et de nouvelles entrantes (notamment des artistes de rap et leur entourage) qui ne disposent pas (encore ?) de cette culture professionnelle. Au-delà, c’est également une compréhension mutuelle de ce qu’est une performance musicale et un bon concert qui est en jeu. L’utilisation de playback, par exemple, sert à pointer une qualité finalement limitée des prestations sur scène étant donné les montants exigés et des moyens vus comme « disproportionnés ». Ce qui semble en jeu ici n’est donc non pas uniquement le développement de nouvelles compétences pour savoir apprécier les « goûts » des jeunes, mais également, peut-être, la possibilité de faire monde professionnel commun59Ces tensions touchent différents enjeux. Par exemple, quelques artistes de rap préfèrent le statut d’autoentrepreneur à celui d’intermittent du spectacle. Charbonnier R., La régulation à l’épreuve du changement : Le cas de la musique, thèse de doctorat, Paris, École Polytechnique, 2022.. Autrement dit, l’enjeu ne se résume pas simplement à décréter que le rap ou les musiques urbaines doivent occuper davantage de place au sein des programmations, mais bel et bien à travailler au sein du secteur du live pour réaliser cette intégration.

Ne pas s’y retrouver

Au cours de nos échanges avec les acteurs et actrices du secteur, l’un d’eux émet l’hypothèse que « les jeunes ne s’y retrouvent pas » dans ce qui est proposé par les festivals et les salles de concert. Cette expression résonne bien avec plusieurs aspects des discussions avec les personnes interviewées par le CNM. Qu’est-ce qui peut faire qu’on ne s’y retrouve justement pas ? S’y retrouver, cela peut, d’abord, signifier ne pas y trouver son compte ou la musique qui compte pour soi. Plusieurs des 13-26 ans interviewés par le CNM relèvent, par exemple, le cas d’artistes internationaux qu’ils et elles apprécient, mais qui tournent finalement peu en France et lorsqu’ils le font, s’arrêtent à de grandes salles parisiennes et jouent à des prix élevés (voir plus haut). À l’opposé, d’autres comme Victor (22 ans en 2022), expliquent qu’ils ou elles ne pourront jamais voir leurs artistes préférés parce que ceux-ci sont décédés. Au-delà du seul enjeu de la programmation d’artistes de rap, le concert est tributaire de l’actualité des tournées qui se trouve parfois en décalage avec les goûts des personnes interviewées, tels que l’écoute de musique de « catalogue » ou des pratiques festives. Comme le fait remarquer le directeur d’une salle, le rap n’est peut-être même que l’arbre qui cache une forêt de styles musicaux liés notamment à la danse et qui possèdent une existence très rare en concert : afrobeat/coupé-décalé/zouk.

Ensuite, ne pas s’y retrouver, c’est également ne pas se retrouver quelque part, ne pas y être allé et peut-être aussi ne pas y avoir été emmené. Ce sens réintroduit la géographie des concerts et l’enjeu de l’inscription des salles dans un territoire. La question de l’accès est centrale, en particulier dans les petites villes et les régions périurbaines qui ne disposent pas de réseaux de transport public développés. De fait, les jeunes ne possèdent pas toujours un accès à un véhicule aisé, ce qui limite les sorties, surtout quand les salles se trouvent dans des quartiers périphériques où il est souvent onéreux de mettre en place des systèmes de navette. Cette problématique est quelque peu différente pour les festivals, notamment estivaux, qui peuvent permettre des campings sur le site de l’événement. En ville, l’organisation d’événements « hors les murs » et le « travail du terrain » sont utilisés pour aller chercher un public qui ne se déplace habituellement pas. Les partenariats avec des associations locales et l’organisation d’événements en lien avec la vie de quartier ont été cités à plusieurs reprises comme des moyens pour (re)créer ce lien avec le territoire immédiat des structures.

Enfin, s’y retrouver touche à l’expérience même d’un concert. Kingsley (25 ans en 2022), par exemple, reproche aux artistes d’être dans la « fame » et de se produire dans de grandes salles uniquement pour « prendre de l’argent ». Pour Kingsley, l’expérience d’un concert n’est pas satisfaisante : « trop de gens », « trop cher », « trop loin de l’artiste ». Il préfère regarder du contenu audiovisuel sur Internet, notamment YouTube ou des « lives Insta ». Il s’y sent plus proche des artistes. Il juge que les artistes sont plus vrais sur les réseaux qu’en live. Lara (15 ans en 2022), elle, explique que ses amis lui ont raconté des expériences de concert, mais elle n’était pas intéressée, car elle n’apprécie pas l’ambiance et pense qu’il y a trop de gens. Elle estime que la COVID-19 a peut-être joué sur le fait qu’elle évite d’aller dans des endroits trop fréquentés. Les témoignages de Kingsley et de Lara laissent envisager un décalage avec l’expérience offerte par les salles et les festivals. De la même manière, plusieurs professionnels ont fait part d’une forme de lassitude parmi une partie des publics, potentiellement en lien avec la pandémie. Cette lassitude, pardois qualifiée de « flemme », pousse certaines personnes à moins sortir et à choisir d’autres consommations culturelles (notamment en ligne).

Face à ces constats, plusieurs professionnels et professionnelles ont partagé différentes initiatives qu’ils et elles développent pour proposer des formats qui répondent à des attentes différentes : soirées « after school » avec des horaires précoces, débats, ateliers, partenariats avec des associations. Ces initiatives posent la question de la médiation, comprise comme l’ensemble de ces passages, de ces moments qui tissent un lien entre une salle de concert ou un festival et son public. De ce point de vue, il est certain que nombre de pistes peuvent être encore explorées pour faire venir les plus jeunes et « les utiliser » pour réaliser des projets, comme le dit joliment l’une des personnes présentes aux ateliers. Toutefois, comme le montrent ces exemples, construire leur intérêt requiert de remettre en jeu la façon d’organiser des concerts et d’être prêt à s’adapter. Comme le relève la directrice d’une salle parisienne : « On voulait se rapprocher de ce public local, qui est proche des musiques urbaines, et la solution, ça a été de leur dire “De quoi avez-vous besoin ?”, plutôt que “Venez au concert !”. C’est ça qui a créé le lien, un peu comme une MJC à l’ancienne. » Cette réflexion invite peut-être à envisager différemment la salle de concert en tant que lieu, moins comme uniquement un espace d’accueil d’artistes en tournée nationale ou internationale, mais aussi comme point de résonance ancré dans son territoire.

Si ce qui peut prévenir les jeunes de venir à des concerts interroge, la question inverse mérite également d’être posée : quelles places les salles de concert sont-elles prêtes à faire aux publics les plus jeunes ? Ont-elles vraiment envie de les accueillir ? Plusieurs des présents et présentes aux ateliers ont souligné le poids organisationnel de l’accueil des publics jeunes. Ces contraintes évoquées sont d’abord légales : horaires des soirées ou vente de boissons alcoolisées. Les publics jeunes sont aussi décrits comme plus agités et moins faciles à encadrer. Les organisateurs et organisatrices évoquent des besoins plus importants de prévention ou de sécurité qui augmentent les frais de production des soirées. Enfin, certains représentants de structure invoquent le risque que cette dernière soit perçue comme « trop jeune » et désertée par une partie de son public. Ces éléments rappellent que l’accueil des « jeunes » n’est pas non plus une évidence du point de vue des professionnels et professionnelles. Cet accueil nécessite une adaptation qui dépasse la seule programmation, mais touche bien toutes les étapes de la production d’un concert.

Enjeux de la relève

Au-delà de la production des concerts, les discussions avec les membres du secteur ont mis en avant l’enjeu de la place des jeunes au sein même des structures. S’ils et elles font le constat que les jeunes veulent être acteurs des événements sur le terrain60Sur ce point, l’étude du Pass Culture souligne que 43 % des sondés et sondées seraient prêts à aller au-delà d’une expérience de spectateurs et spectatrices et à s’engager dans l’organisation d’un concert ou d’un festival. Concerts et festivals : Quel regard les jeunes posent sur la musique live ?, op. cit, cela ne se traduit pas forcément par une implication bénévole ou une réappropriation forte des lieux. Plusieurs personnes rapportent les limites des actions de médiation, par exemple, l’accompagnement dans l’organisation d’un concert. Si les jeunes y participent avec plaisir, cela ne garantit en rien qu’ils et elles y reviennent de manière régulière. À l’inverse, plusieurs structures constatent plutôt un vieillissement de leurs bénévoles. Une explication avancée serait un essoufflement politique autour de l’organisation des concerts en comparaison avec ce qu’a pu être le moment de création des MJC et des premières SMAC.

On pourrait en conclure peut-être un peu rapidement que, là aussi, la professionnalisation du secteur tend à creuser un fossé. Toutefois, plusieurs de nos interlocuteurs et interlocutrices rapportent des défis similaires en termes de ressources humaines. Les problématiques de renouvellement touchent aussi bien les conseils d’administration des structures que les emplois salariés. Sont soulignées des exigences élevées en termes de conditions de travail (salaires, horaires de travail, bien-être au travail…) dans un secteur où les gens diplômés sont souvent moins rémunérés que dans d’autres emplois. En outre, les équipes connaissent un fort taux de renouvellement. Il existe notamment une pénurie de recrutement sur les métiers d’administration et de communication. Celle-ci renforce les difficultés à trouver des compétences sur des postes clés pour l’utilisation des réseaux sociaux (voir plus haut).

La question du rapport des jeunes aux salles de concert et aux festivals dépasse les seuls enjeux de fréquentation. Elle touche le modèle de nombre de structures et pose la question de leur existence. Le directeur d’une salle de concert résume la situation : « Dans le secteur subventionné, on est à la fin de quelque chose. » Si, au cours des trente dernières années, ce secteur a connu une forte professionnalisation et structuration, celle-ci ouvre désormais des questions sur la façon dont ce modèle peut se renouveler. Au moment où les premières générations de professionnels et professionnelles ayant souvent porté une forme de militantisme arrivent à la retraite61Dutheil-Pessin C. et Ribac F., La Fabrique de la programmation culturelle, Paris, La Dispute, 2017., d’autres modalités d’engagement devront peut-être être imaginées.

Pour la suite

Le but de cette onde courte n’est pas de conclure à un diagnostic définitif. En parcourant différents enjeux, l’objectif a davantage été de poser des problématiques et d’esquisser des pistes de réflexion. Celles-ci n’appellent qu’à être saisies par d’autres. Si un hypothétique découplage entre concerts de musiques actuelles et jeunesse est en train de s’opérer — et nous espérons avoir montré que sur ce point un constat tranché est difficile à faire —, il doit permettre d’ouvrir une discussion qui dépasse des explications simplistes qui seraient tentées de faire porter la responsabilité tantôt à des « jeunes » — que leurs écrans obnubilent — tantôt à des professionnels et professionnelles du secteur — qui ne comprendraient rien au rap.

Pour mener cette réflexion, trois sujets semblent toutefois incontournables. Pour commencer, nous l’avons vu, les outils qui permettraient une observation des changements de pratiques de fréquentation des concerts des musiques actuelles existent encore trop peu. Plusieurs enquêtes ont été lancées pour évaluer les effets de la COVID-19 et des mesures sanitaires, mais elles manquent souvent de point de comparaison. À ce titre, plusieurs personnes durant les ateliers ont souligné les difficultés de réaliser des études sur leurs publics. Si les « traces » numériques et les données issues des billetteries en ligne promettent de nouvelles possibilités, nombre de questions en termes de moyens, de législation ou de savoir-faire restent en suspens. Alors que cette question devient un enjeu majeur pour le secteur62Guibert G., « Le tournant numérique du spectacle vivant. Le cas des festivals de musiques actuelles », Hermès, vol. 86, nᵒ 1, 2020, p. 59‑61., il pourrait permettre de développer et de renforcer les collaborations entre milieux de la recherche et membres de la profession.

Ensuite, mener une réflexion sur le rapport de la « Gen Z » au live appelle aussi à penser ce que le développement d’Internet et des réseaux sociaux fait aux concerts. Poser cette question dans des termes adéquats nécessite d’éviter de les opposer. Au contraire, les outils numériques équipent, déplacent et parfois prolongent l’expérience du concert. Inversement, la musique live nourrit les contenus publiés en ligne. Or, lorsqu’on brosse le portrait de ce paysage médiatique, tant sa dépendance vis-à-vis des grandes entreprises du numérique que les investissements financiers à consentir pour y exister sont flagrants63Sur le livestream, voir notamment Won H., « La possibilité d’un nouveau modèle économique avec les concerts en ligne : Un regard socio-économique sur la K-Pop en Corée du Sud », art. cité.. Il y a ici certainement un enjeu de politique culturelle décisif et dont l’importance risque de s’accentuer dans les années à venir. Comment permettre à des médias musicaux indépendants d’exister sur les réseaux sociaux ? Avec quels modèles économiques ? Comment peut-on offrir d’autres canaux de communication aux acteurs et actrices du secteur ? Les fonds publics doivent-ils servir à payer de la publicité sur les réseaux sociaux ? Comment préserver une forme de diversité dans le contenu offert par ces plateformes ? De quelle façon garantir l’existence de mécanisme de répartitions entre les acteurs et actrices de cet écosystème médiatique ? Toutes ces questions sont déjà en cours de discussion. Toutefois, à l’aune des promesses des métavers, mais également de la forte croissance du marché64Goldman Sachs évalue le marché du live à 38,3 milliards de dollars en 2030 contre 29,1 milliards en 2023. Source : Goldman Sachs, Music in the Air, 13 juin 2022, en ligne : https://www.goldmansachs.com/insights/pages/gs-research/music-in-the-air/report.pdf., il serait sans doute regrettable de penser qu’elles ne concernent pas la production de concerts. De ce point de vue, les membres du secteur ont tout intérêt à se mêler de ces questions.

Enfin, ce sujet est épais, au sens où il touche l’ensemble des éléments qui fondent l’existence d’une structure de production de concerts, qu’il s’agisse d’une salle, d’un festival et même d’un tourneur. Il ne s’agit pas simplement de programmer plus de rap, ou de subventionner les billets de concert pour les plus jeunes. Bien sûr, ces éléments peuvent être des pistes de réponse. Toutefois, tant les entretiens menés par le CNM que les deux ateliers organisés avec les professionnels et professionnelles montrent que l’enjeu consiste à nouer un attachement commun et à en prendre soin. Transformation du paysage médiatique, massification des concerts, structuration du secteur ou encore augmentation du prix des billets, nombre de processus contribuent à mettre à l’épreuve cet attachement réciproque. À ce titre, un certain modèle de ce qu’est une salle de concert ou un festival (indépendant) sera peut-être à réinventer. Si pendant la majorité de l’histoire des musiques actuelles, le lien entre concert et jeunesse est apparu comme une évidence, le fait qu’il puisse être potentiellement en train de se défaire invite à réfléchir tant à l’évolution des habitudes des 13-26 ans qu’aux transformations du secteur.

Remerciements

Ce texte a grandement bénéficié des commentaires de plusieurs relecteurs et relectrices du CNM. Je les en remercie. Ma gratitude va également à Robin Charbonnier pour son accompagnement et nos multiples échanges toujours riches et enthousiasmants. Merci aussi à Jade Brunet pour son travail sur les entretiens. Enfin, je remercie tant les 13-26 ans que les ceux et celles de la profession qui ont accepté de partager leurs expériences et leurs interrogations et ont, ainsi, permis de donner de la chair à cette réflexion exploratoire. Les arguments présentés ici et leurs défauts me restent imputables sans réserve.

  • 1
    Jordan L., « The Kids Aren’t Alright: Inside Gen Z’s Chaotic Introduction to Live Music », Paste Magazine, 14 juillet 2022, en ligne : https://www.pastemagazine.com/music/gen-z-concert-safety/.
  • 2
    Voir à ce propos le récent texte de Gayraud A., Younger than yesterday : Jeunesse pop à travers les âges, 3 janvier 2023, en ligne :  https ://www.theravingage.com/documents/gayraud-younger-than-yesterday.
  • 3
    Sur cette question, voir notamment les travaux de Bennett A., « Punk’s not Dead: The Continuing Significance of Punk Rock for an Older Generation of Fans », Sociology, vol. 40, no 2, 2006, p. 219‑235.
  • 4
    Ces deux ateliers ont eu lieu à l’automne 2022. Ils ont duré respectivement trois et quatre heures. Les participants et participantes ont été recrutés à travers les réseaux du CNM. Nous avons veillé à la diversité de la représentation des structures en fonction de leur localisation et de leurs activités (festivals, salles de concert, tourneur).
  • 5
    Les douze entretiens ont été réalisés par Robin Charbonnier et Jade Brunet du Centre national de la musique en décembre 2022. Ils ont porté sur les pratiques et les habitudes des personnes interviewées et ont duré entre dix-huit et quarante-six minutes. Ces personnes ont été recrutées à travers les réseaux personnels des enquêteurs et enquêtrices en veillant à garantir la diversité des profils des personnes rencontrées. Les prénoms ont été remplacés par des pseudos.
  • 6
    Voir par exemple Bresman H. et Rao V. D., « A Survey of 19 Countries Shows How Generations X, Y, and Z Are — and Aren’t — Different. », Harvard Business Review, 25 août 2017, en ligne : https://hbr.org/2017/08/a-survey-of-19-countries-shows-how-generations-x-y-and-z-are-and-arent-different.
  • 7
    Voir Glevarec H., Nowak R. et Mahut D., « Tastes of our Time: Analysing Age Cohort Effects in the Contemporary Distribution of Music Tastes », Cultural Trends, vol. 29, no 3, 2020, en ligne : https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09548963.2020.1773247.
  • 8
    L’effet d’âge renvoie à l’idée d’un moment particulier des parcours de vie (p. ex., l’adolescence ou l’entrée dans l’âge adulte). L’effet de génération fait lui référence à un effet propre à une cohorte d’individus et à son inscription dans un moment historique particulier.
  • 9
    Mazierska E., Gillon L. et Rigg T., Popular Music in the Post-Digital Age: Politics, Economy, Culture and Technology, New York, Bloomsbury, 2018, p. 3. (Traduction de l’auteur.)
  • 10
    Nowak R., Consuming Music in the Digital Age: Technologies, Roles and Everyday life, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2016 ; Maisonneuve S., « L’économie de la découverte musicale à l’ère numérique », Reseaux, vol. 213, nᵒ 1, 2019, p. 49‑81.
  • 11
    Hennion A., Les Professionnels du disque : Une sociologie des variétés, Paris, Métailié, 1981.
  • 12
    Matthews J. T. et Perticoz L., L’Industrie musicale à l’aube du XXIe siècle, Paris, L’Harmattan, 2012 ; Rogers J., The Death and Life of the Music Industry in the Digital Age, Londres, Bloomsbury, 2013 ; Arditi D., iTake-Over: The Recording Industry in the Digital Era, Lanham, Boulder, New York & Londres, Rowman & Littlefield, 2014 ; Eriksson M., Fleischer R., Johansson A., Snickars P. et Vonderau P., Spotify Teardown: Inside the Black Box of Streaming Music, Cambridge, MA, MIT Press, 2019.
  • 13
    Harvey E., « Collective Anticipation : The Contested Circulation of an Album Leak », Convergence, vol. 19, no 1, 2013, p. 77‑94 ; Ribac F., « Amateurs et professionnels, gratuité et profits aux premiers temps du Web 2.0 : L’exemple de la blogosphère musicale », Transposition, no 7, 2018, en ligne : https://journals.openedition.org/transposition/2483 ; Eriksson M., « The Editorial Playlist as Container Technology: On Spotify and the Logistical Role of Digital Music Packages », Journal of Cultural Economy, vol. 13, no 4, 2020, p. 415‑427 ; Heuguet G,. YouTube et les métamorphoses de la musique, Bry-sur-Marne, INA, coll. Études et controverses, 2021.
  • 14
    Concerts et festivals : Quel regard les jeunes posent sur la musique live ?, Pass Culture et Prodiss, 2022, en ligne : https://smallpdf.com/fr/file#s=275633fd-23e7-4343-b110-621c688d9ad6.
  • 15
    Hennion A., « Scène rock, concert classique », Vibrations, Hors-série, 1991, p. 101‑119 ; Auslander P., Liveness: Performance in a Mediatized Culture, Londres, Routledge, 2008 ; Ferrand L., « Comprendre les effervescences musicales. L’exemple des concerts de rock », Sociétés, vol. 104, no 2, 2009, p. 27‑ 37 ; Kjus Y., Live and Recorded: Music Experience in the Digital Millennium, Berlin, Springer, 2018 ; Holt F., Everyone Loves Live Music: A Theory of Performance Institutions, Chicago, University of Chicago Press, 2020 ; Riom L., Faire compter la musique. Comment recomposer le live à travers le numérique (Sofar Sounds 2017-2020), thèse de doctorat, Paris, CSI Mines-ParisTech, Université PSL, 2021
  • 16
    Hennion A., Maisonneuve S. et Gomart E., Figures de l’amateur : Formes, objets, pratiques de l’amour de la musique aujourd’hui, Paris, La Documentation française, 2000 ; Ribac F., « L’apprentissage des musiques populaires, une approche comparatiste de la construction des genres », dans Ayral S. et Raibaud Y. (dir.), Pour en finir avec la fabrique des garçons. Vol. 2  : Sport, loisirs, culture. Pessac, Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 2014 ; Martet S., Découverte et partage des goûts musicaux : Une analyse des parcours d’auditeurs de jeunes adultes montréalais, thèse de doctorat, Montréal, Université du Québec à Montréal, 2017.
  • 17
    Kinnunen M., Homi H. et Honkanen A., « Live Music Consumption of the Adolescents of Generation Z », Etnomusikologian vuosikirja, vol. 34, 2022, p. 65‑92.
  • 18
    Nesti E., « “Je la regarde et je danse”. Fans à la recherche d’un soutien dans le mouvement d’un corps performant », Ateliers d’anthropologie, no 50, 2021, en ligne : https ://journals.openedition.org/ateliers/14876.
  • 19
    Hannecart C., Crusson N. et Fourrage H., Rapports des jeunes à la musique à l’ère numérique. Synthèse de l’enquête menée en Pays de la Loire, Le POLE, 2015.
  • 20
    Sur la notion de médiation, voir Hennion A., La Passion musicale. Une sociologie de la médiation, Paris, Métailié, 1993
  • 21
    Guibert G. et Sagot-Duvauroux D., Musiques actuelles : Ça part en live, Paris, IRMA, 2013 ; Frith S., Brennan M., Cloonan M. et Webster E., The History of Live Music in Britain, Volume 3, 1985-2015: From Live Aid to Live Nation, Londres, Routledge, 2021 ; Waksman S., Live Music in America: A History from Jenny Lind to Beyoncé, Oxford, Oxford University Press, 2022.
  • 22
    Guibert G. et Sagot-Duvauroux D., Musiques actuelles, op. cit. ; Holt F., « The Economy of Live Music in the Digital Age », European Journal of Cultural Studies, vol. 13, no 2, 2010, p. 243‑261 ; Holt F., Everyone Loves Live Music, op. cit.
  • 23
    Frith S., « La musique live, ça compte… », Réseaux, vol. 141‑ 142, nos 2 et 3, 2007, p. 179‑201.
  • 24
    La Diffusion des spectacles de musiques actuelles et de variétés en France, Centre national de la musique, 2022, en ligne : https ://cnm.fr/wp-content/uploads/2023/01/CNM_CDLD_22_MaMA.pdf.
  • 25
    Lombardo P. et Wolff L., « Cinquante ans de pratiques culturelles en France », Culture études, vol. 2, no 2, 2020, p. 50.
  • 26
    Présentation de l’enquête du DEPS dans le cadre du colloque « 40 ans de fêtes de la Musique ». En ligne : ministère de la Culture, « Colloque “40 ans de fêtes de la Musique” », YouTube, 16 juin 2022, en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=A45RmTljHkQ.
  • 27
    Lombardo P. et Wolff L., « Cinquante ans de pratiques culturelles en France », art. cité, p. 59.
  • 28
    Cette baisse est même encore plus forte pour la catégorie « rock ou jazz ». Toutefois, il reste difficile d’évaluer s’il ne s’agit pas d’un effet de nomenclature et notamment de l’absence d’une modalité de réponse « rap ».
  • 29
    Baromètre des pratiques culturelles des Français en matière de spectacles musicaux et de variété, Prodiss et Observatoire du live, 2022.
  • 30
    Menger P.-M., « L’oreille spéculative. Consommation et perception de la musique contemporaine », Revue française de sociologie, vol. 27, no 3, 1986, p. 445‑ 479 ; Dorin S., Déchiffrer les publics de la musique classique. Perspectives comparatives, historiques et sociologiques, Paris, Archives contemporaines, 2018.
  • 31
    Hannecart C., Rapports des jeunes à la musique à l’ère numérique. Synthèse de l’enquête menée en Pays de la Loire, op. cit.
  • 32
    Voir par exemple Riom L., Faire compter la musique. Comment recomposer le live à travers le numérique (Sofar Sounds 2017-2020), op. cit. ; Turbé S., Observation de trois scènes locales de musique métal en France : Pratiques amateurs, réseaux et territoire, thèse de doctorat, Metz, Université de Lorraine, 2017 ; Spanu M., Pratiques et représentations des langues chantées dans les musiques populaires en France : Une approche par trois enquêtes autour du français, de l’anglais et de l’occitan, thèse de doctorat, Metz, Université de Lorraine, 2017 ; Kjus Y., Live and Recorded, op. cit. ; Holt F., Everyone Loves Live Music, op. cit. ; Green B., Peak Music Expériences: A New Perspective on Popular Music, Identity and Scenes, Londres, Routledge, 2022.
  • 33
    Edwidge Millery et ses collègues estiment que près de la moitié des festivals a été créée au cours de la dernière décennie. Millery E., Négrier E. et Coursière S., « Cartographie nationale des festivals  : entre l’éphémère et le permanent, une dynamique culturelle territoriale », Culture études, vol. 2, no 2, 2023, p. 1‑32.
  • 34
    Négrier E., Djakouane A. et Jourda M.-T., Les Publics des festivals, Paris, Michel de Maule, 2010 ; Bennett A., Woodward I. et Taylor J., The Festivalization of Culture, Farnham, Ashgate Publishing, 2015.
  • 35
    Baromètre des pratiques culturelles des Français en matière de spectacles musicaux et de variété, op. cit
  • 36
    Hannecart C., Rapports des jeunes à la musique à l’ère numérique. Synthèse de l’enquête menée en Pays de la Loire, op. cit.
  • 37
    Kronenburg R., This Must be the Place: An Architectural History of Popular Music Performance Venues, New York, Bloomsbury, 2019.
  • 38
    En France, un travail journalistique a permis de montrer ainsi que tant les principales salles que les plus importants festivals sont contrôlés par quelques grands groupes internationaux : https ://www.vousnetespaslaparhasard.com/. Voir également : Holt F., Everyone Loves Live Music, op. cit.
  • 39
    Behr A. et Cloonan M., « Going Spare? Concert Tickets, Touting and Cultural Value », International Journal of Cultural Policy, vol. 26, no 1, 2018, p. 95-108 ; Connolly M. et Krueger A., « Rockonomics: The Economics of Popular Music », Handbook of the Economics of Art and Culture, vol. 1, 2006, p. 667‑719.
  • 40
    L’Enquête sur les pratiques culturelles 2018 inique que 90 % des 15-24 ans écoutent de la musique sur des supports numériques (fichiers numériques, services en ligne). Voir DEPS, Chiffres clés 2022, ministère de la Culture, 2022. MIDiA rapporte qu’au Royaume-Uni, 53 % des 16-19 ans utilisent Spotify de manière quotidienne. De manière générale, les études s’accordent également sur le fait que les moins de 26 ans payent pour avoir accès à une offre de streaming. Néanmoins, si l’écoute en streaming est très largement diffusée dans cette classe d’âge, d’autres pratiques ont leur place. Toujours selon les chiffres du DEPS, 24 % des 15-24 ans écoutent de la musique sur des supports physiques (CD, cassettes, vinyles). Sur ce sujet, voir également Nowak R., Consuming Music in the Digital Age, op. cit. ; Gilliotte Q., « La persistance de l’attachement aux biens culturels physiques », Biens symboliques, vol. 9, 2021, en ligne : https://journals.openedition.org/bssg/864 ; Baromètre de la consommation de biens culturels dématérialisés, Hadopi, 2021.
  • 41
    Par exemple, pour le Royaume-Uni, voir Mulligan M., Gen Z. Meet The Young Millennials, MiDiA, 2017. Pour les États-Unis, voir Darstaru A., « What Clicks with Gen Z », Creatopy, juillet 2022, en ligne : https://www.creatopy.com/blog/whitepaper-what-clicks-with-gen-z/.
  • 42
    Bautier M., « Réseaux sociaux : les 16-25 ans abandonnent Facebook pour TikTok », Diplomeo, 3 février 2022, en ligne : https://diplomeo.com/actualite-sondage_reseaux_sociaux_jeunes_2022.
  • 43
    On peut d’ailleurs noter que l’on sait encore peu de chose de la multiplication des applications qui visent à accompagner l’expérience d’un concert : partage de setlist, billetterie en ligne, recommandation, etc
  • 44
    Nova N., Smartphones, Genève, Métis presses, 2020.
  • 45
    Trottier-Pistien F., « “C’est ça le futur des soirées ?” Les musiques électroniques de danse à l’épreuve du livestream et de la COVID-19 », Communiquer, no 35, 2022, p. 81‑ 99 ; Bigay R., « Ce que le livestream fait au live », Communiquer, no 35, 2022, p. 25‑37 ; Guibert G. et Lussier M., « La musique live en contexte numérique. Captation, diffusion, valorisation, usages », Communiquer, no 35, 2022, p. 1‑ 6 ; d’Hoop A. et Pols J., « “The Game is On!” Eventness at a Distance at a Livestream Concert during Lockdown », Ethnography, 2022, en ligne : https://doi.org/10.1177/14661381221124502 ; Guibert G., « Live Performance and Filmed Concerts: Remarks on Music Production and Livestreaming before, during, and after the Public Health Crisis », Ethnomusicology Review, vol. 24, 2023, en ligne : https://ethnomusicologyreview.ucla.edu/journal/volume/24/piece/1099.
  • 46
    Étude prospective sur le marché du livestream musical en France, Arcom et CNM, 2022.
  • 47
    Les Français et les spectacles vivants, Prodiss, 2022.
  • 48
    Pour un panorama, voir Riom L. et Spanu M., « Les nouvelles médiations audiovisuelles de la musique live : Formats, industrie et patrimoine culturel numérique », SociologieS, à paraître.
  • 49
    Sur ces développements en Corée du Sud, voir Won H., « La possibilité d’un nouveau modèle économique avec les concerts en ligne : Un regard socio-économique sur la K-Pop en Corée du Sud », SociologieS, à paraître.
  • 50
    Danielsen A. et Kjus Y., « The Mediated Festival: Live Music as Trigger of Streaming and Social Media Engagement », Convergence, vol. 25, no 4, 2019, p. 714‑734.
  • 51
    Dans les Mondes de l’art, Howard Becker évoquait déjà ce rapport compliqué entre la production musicale et le temps à disposition des musicien-nes s et musiciennes sur les supports d’enregistrement. Becker H. S., Les Mondes de l’art, Paris, Flammarion, 2010.
  • 52
    Sur la façon dont les codes de YouTube sont utilisés par les artistes, voir notamment Creton C., « Approche communicationnelle des scènes musicales locales face à l’offre médiatique numérique : le cas nantais », thèse de doctorat, Rennes, Université de Rennes 2, 2019 ; Creton C., « L’image au cœur des pratiques communicationnelles des scènes musicales », Revue française des sciences de l’information et de la communication, no 18, 2019, en ligne : https://journals.openedition.org/rfsic/8262#quotation.
  • 53
    Hracs B. J., Jakob D. et Hauge A., « Standing out in the Crowd: The Rise of Exclusivity-Based Strategies to Compete in the Contemporary Marketplace for Music and Fashion », Environment and Planning A, vol. 45, no 5, 2013, p. 1144‑1161 ; Baym N. K., Playing to the Crowd: Musicians, Audiences, and the Intimate Work of Connection. New York, NYU Press,2018 ; Riom L., « Discovering Music at Sofar Sounds: Surprise, Attachment, and the Fan–Artist Relationship », dans Tofalvy T. et Barna E. (dir.), Popular Music, Technology, and the Changing Media Ecosystem. Cham, Springer, 2020, p. 201‑216.
  • 54
    En 1991, Antoine Hennion relevait ces différentes médiations qui réalisent la relation artistes-public : « Ces montages asymptotiques sont des schémas performatifs, des efforts pour “produire” la musique, en définissant au passage, au sens le plus fort du terme passage, ses sujets, ses objets et ses moyens. » Hennion A., « Scène rock, concert classique », op. cit.
  • 55
    Est ici fait référence à la formulation d’Antoine Hennion pour étudier les cours de solfège. Hennion A., Comment la musique vient aux enfants. Une anthropologie de l’enseignement musical, Paris, Anthropos, 1988.
  • 56
    Riom L., « Mettre la musique en public : quelques réflexions à partir d’une ethnographie des soirées de Sofar Sounds » dans Rescigno A., Turbé S. et Valkauskas E. (dir.), Le Public dans tous ses états, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2022.
  • 57
    Delcambre P., « Prescrire comme opération sociale », Territoires contemporains, no 11, 2019, en ligne : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/prescription-culturelle-question/Pierre-Delcambre.html ; Sklower J., Le Gouvernement des sens. Militantisme jeune communiste, médias et musiques populaires en France (1955-1981), thèse de doctorat, Paris, Université Sorbonne Nouvelle, 2020.
  • 58
    Chiapello E., « Les organisations et le travail artistiques sont-ils contrôlables ? », Réseaux, vol. 15, no 86, 1997, p. 77‑ 113 ; Brandl E., L’Ambivalence du rock, entre subversion et subvention : Une enquête sur l’institutionnalisation des musiques populaires, Paris, L’Harmattan, 2009.
  • 59
    Ces tensions touchent différents enjeux. Par exemple, quelques artistes de rap préfèrent le statut d’autoentrepreneur à celui d’intermittent du spectacle. Charbonnier R., La régulation à l’épreuve du changement : Le cas de la musique, thèse de doctorat, Paris, École Polytechnique, 2022.
  • 60
    Sur ce point, l’étude du Pass Culture souligne que 43 % des sondés et sondées seraient prêts à aller au-delà d’une expérience de spectateurs et spectatrices et à s’engager dans l’organisation d’un concert ou d’un festival. Concerts et festivals : Quel regard les jeunes posent sur la musique live ?, op. cit
  • 61
    Dutheil-Pessin C. et Ribac F., La Fabrique de la programmation culturelle, Paris, La Dispute, 2017.
  • 62
    Guibert G., « Le tournant numérique du spectacle vivant. Le cas des festivals de musiques actuelles », Hermès, vol. 86, nᵒ 1, 2020, p. 59‑61.
  • 63
    Sur le livestream, voir notamment Won H., « La possibilité d’un nouveau modèle économique avec les concerts en ligne : Un regard socio-économique sur la K-Pop en Corée du Sud », art. cité.
  • 64
    Goldman Sachs évalue le marché du live à 38,3 milliards de dollars en 2030 contre 29,1 milliards en 2023. Source : Goldman Sachs, Music in the Air, 13 juin 2022, en ligne : https://www.goldmansachs.com/insights/pages/gs-research/music-in-the-air/report.pdf.
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