Introduction
Créé en 1996, le dispositif puis le label (1998) « Scène de musiques actuelles » (SMAC) est attribué par le ministère de la Culture, au regard des projets (artistiques et culturels) présentés par des structures qui favorisent la création et la diffusion de musiques actuelles (chanson, jazz et musiques improvisées, musiques traditionnelles et musiques du monde, rock, pop, électro, rap…) sur leurs territoires. Ce label fait suite au dispositif des « cafés-musique » mis en place en 1991. Quatre-vingt-douze structures réparties sur l’ensemble du pays sont labellisées à ce jour. Elles sont financées à la fois par l’État, les collectivités territoriales et par leurs ressources propres.
La situation des scènes de musiques actuelles (SMAC) a fait l’objet d’une intense mobilisation lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, aboutissant à un plan de mesures économiques en leur faveur pour 3,68 millions d’euros. Ce succès a toutefois été rapidement fragilisé par les annonces gouvernementales concernant le déficit public, son augmentation et les drastiques mesures d’économie envisagées pour y faire face[1]. Parallèlement, à l’approche du trentième anniversaire du label SMAC, des interrogations les concernant ont évoqué le vieillissement des équipes qui peineraient autant à recruter qu’à répondre aux attentes de nouvelles générations d’auditoires et d’artistes[2]. Après avoir sensiblement bousculé les politiques et institutions dans le domaine du spectacle vivant, les SMAC, de plus en plus institutionnalisées, sauront-elles faire face aux transformations et aux défis auxquels la société française, dans son ensemble, est confrontée ?
Arrivés plus tardivement que d’autres dans le champ des interventions culturelles publiques, les acteurs et actrices des musiques actuelles ont eu pour stratégie de privilégier l’action collective et de bâtir des plaidoyers assis sur une connaissance précise des situations vécues[3]. Toutefois, ces observations régulièrement actualisées, concernant des structures aux projets labellisés SMAC ou non, ne permettent pas de traiter de leur devenir[4]. C’est l’une des raisons pour lesquelles le CNM a souhaité lancer une étude à dimension prospective, visant moins l’observation que le recueil de projections sur le futur, le repérage des adaptations et des transformations en cours au sein de ces équipes et de ces équipements.
Cette étude sera centrée sur les structures dont les projets[5] ont été labellisés, sans toutefois s’y limiter. D’autres, dont la labellisation est en voie ou en préparation, ont aussi été intégrées au panel. La question de la labellisation est en effet aussi importante pour celles qui la vivent que pour celles qui y aspirent. En outre, si on recense actuellement quatre-vingt-douze entités labellisées SMAC[6], cela implique une diversité de situations. Il sera donc fréquent ici de souligner la variabilité des contextes, moyens et activités.
L’enquête s’est principalement appuyée sur des entretiens avec des équipes de SMAC du territoire métropolitain. Vingt-sept entretiens ont été réalisés, essentiellement auprès des directeurs ou directrices. Une majorité concerne des dirigeants de lieux labellisés, plus rarement de scènes de musiques actuelles non labellisées ou en cours de labellisation. Les équipements impliqués sont volontairement très variables à l’image de la diversité des organisations sur le territoire : d’une SMAC rurale de petite taille à une structure en zone urbaine disposant de surface, d’espaces, d’effectifs et de moyens importants. Les citations qui vont suivre sont tirées de ces entretiens.
Cette onde courte est organisée en trois parties. La première est consacrée à l’attractivité des emplois au sein des SMAC. La deuxième se demande comment leurs équipes et dirigeantes ou dirigeants font face aux nouvelles « générations »[7] et pratiques musicales. La troisième, concernant à la fois le label et le modèle SMAC (entendu comme des équipements centrés sur la diffusion, comprenant des salles de concert, des bars, des salles de répétition, etc.), envisage leurs possibles évolutions.
Le devenir des directions et des équipes des SMAC : la grande démission ?
Les interrogations concernant l’attractivité de certains emplois ne sont spécifiques ni aux SMAC ni au secteur culturel[8]. La question ne semble pas non plus propre à notre pays. Ce sont d’ailleurs des analystes nord-américains qui ont qualifié le phénomène (The Great Resignation[9]). La crise de la Covid-19 en aurait été le révélateur, voire le déclencheur. Toutefois, des travaux scientifiques sur le marché de l’emploi ont relativisé l’importance et l’exceptionnalité des observations faites après la crise sanitaire[10].
Reste que, au moment de la pleine reprise des activités des salles de spectacle, des inquiétudes ont circulé, soulignant la faible attractivité des postes au sein des SMAC (notamment au niveau des directions)[11]. Des mesures ont été ultérieurement prises pour endiguer ce phénomène (voir plus loin). Une enquête de la Fédélima (Fédération des lieux de musiques actuelles) auprès de ses adhérents (excédant les structures dotées du label SMAC) sera rendue publique fin 2024. Elle a, entre autres, pour objectif d’interroger l’évolution de la situation et de vérifier si l’on assiste à une attractivité restaurée de ces emplois — ce que sembleraient montrer les actuelles observations de terrain[12].
Les diagnostics concernant les emplois d’encadrement
« Cela dépend des postes… »(directrice SMAC)
Nos interlocuteurs et interlocutrices ont reconnu l’existence d’un problème d’attractivité des SMAC, qui serait principalement dû aux niveaux de salaires. Concernant les postes d’encadrement et de direction, le décalage entre la rémunération et les responsabilités exercées constitue un argument en faveur d’une augmentation des subventions allouées au titre de ce label. En effet, pour des tâches comparables, les SMAC ne disposeraient pas des ressources équivalentes aux autres labels du spectacle vivant[13]. Cet élément de contexte étant rappelé, nos entretiens mettent en évidence des explications diverses selon les emplois concernés.
Régie générale et direction technique
Pour ces deux catégories de métiers, la possibilité d’emplois intermittents, avec le système d’assurance-chômage qui y est associé, permet de tirer des revenus d’un montant supérieur à une activité permanente en SMAC. Les arbitrages en faveur de ces dernières se font, entre autres, au regard de la sécurité d’une situation pérenne, de l’adéquation au projet de la structure, d’une vie familiale ayant besoin de stabilité. Toutefois, ces mêmes professionnelles et professionnels peuvent aussi trouver plus de confort de travail dans d’autres équipements culturels labellisés disposant d’équipes plus nombreuses.
Direction administrative et financière (DAF), administration, gestion financière
Pour ces emplois, les difficultés viennent principalement de la technicité croissante de la gestion, notamment en raison des situations financières complexes que beaucoup partagent, ainsi que de la montée en puissance des exigences en matière de gestion des ressources humaines. Il en résulte une forme de standardisation pouvant conduire des titulaires de ces postes à s’intéresser à d’autres structures (culturelles ou non) et à cette occasion, à prétendre à des salaires plus élevés. Cependant, certains de nos entretiens ont, malgré la banalisation des activités en DAF, pointé l’avantage différentiel des SMAC comme cadre de travail singulier répondant plus que d’autres aux attentes de ces salariées et salariés. Enfin, rappelons, comme l’une de nos interlocutrices, que les entreprises spécialisées dans l’administration et la gestion (cabinets d’experts-comptables, par exemple) peinent aussi à recruter[14].
Direction, programmation
C’est au sujet de ces emplois que les tensions sont les plus fortes. La relation entre les rémunérations allouées, d’une part, la diversité des tâches et les compétences exigées pour les remplir, d’autre part, s’avère principalement problématique pour la plupart de nos interlocuteurs et interlocutrices. Les responsabilités se seraient complexifiées au cours des années, à la fois du fait d’un encadrement juridique plus strict, et aussi en raison de la croissance des structures et du nombre de salariés. Les tâches « RH » sont spécifiquement pointées au regard de la professionnalisation des équipes (les postures auraient changé, délaissant une forme de dévouement militant au profit d’un engagement professionnel plus mesuré et attentif aux contreparties accordées par la structure). La difficulté de la gestion du personnel résulte aussi des contraintes budgétaires. À tout cela s’ajoutent, pour certaines personnes, des relations complexes avec les responsables politiques locaux.
Toutefois, les fonctions de direction, plus que pour les cadres intermédiaires, bénéficient d’un prestige spécifique particulièrement valorisable dans le cadre d’une carrière. En outre, l’ajout des fonctions de programmation à celles de direction, dans certains cas, est susceptible d’offrir au poste un espace de compensation par des activités plus artistiques.
On notera, pour terminer, que la présence de bars et aussi de restaurants (parfois avec de très larges plages d’ouverture) voue les directeurs et directrices de ces structures, quand bien même leur gestion quotidienne est déléguée, à la responsabilité d’un service commercial qui peut paraître éloigné de leur cœur de métier. Son impact sur les amplitudes horaires, les questions de sécurité ou de lutte contre la suralcoolisation[15] peuvent peser lourdement sur leurs vies professionnelles et personnelles. Cependant, plusieurs considèrent que ces activités font partie inhérente des projets de leurs organisations au point de ne pouvoir envisager de travailler dans un lieu qui, en étant dépourvu, ne pourrait pas être un véritable lieu de vie.
Les difficultés de recrutement sont donc réelles, multicausales, variables selon les postes concernés et prises dans des jeux d’équilibres entre contraintes matérielles et compensations symboliques. Elles se traduisent par une réduction, souvent notée, du nombre des candidatures pour les emplois de cadres. Toutefois, nos entretiens montrent aussi que les postes parviennent à être pourvus (notamment sur les fonctions de direction) par des personnes disposant des compétences requises et répondant pleinement aux besoins de leur structure.
Les solutions trouvées pour assurer le recrutement au sein des SMAC
« Les conditions de travail font que les gens se sentent bien. »(directeur SMAC)
Pour les personnes interrogées, les ressources financières insuffisantes étant la source de ces difficultés, leur revalorisation en serait la solution principale. Les plaidoyers menés pour le projet de loi de finances 2024 seront donc poursuivis par les organisations professionnelles et syndicales du secteur afin de rassembler l’intégralité des moyens demandés (environ 6 millions d’euros).
Des pistes alternatives ou complémentaires ont été trouvées dans une gestion fine de la politique RH des structures. La qualité de vie au travail, certains avantages (prise en charge des frais de transport, plan d’épargne salariale, cadeaux et bons d’achat…), une attention à la cohésion de l’équipe, au bien-être de chacun, à la préservation et au partage du sens des tâches, à la mise en œuvre d’une organisation moins verticale, à l’évolution des missions des salariés, etc., ont des effets positifs sur la réputation d’une SMAC et sur sa capacité à attirer des candidatures de qualité. Le soutien et le développement des actions de ce type font d’ailleurs l’objet du Pacte EMMA, porté par le Syndicat des musiques actuelles (SMA), rendu public en février 2024[16].
Certains de nos entretiens ont souligné des difficultés en matière de recrutement relevant de procédures qui pourraient être améliorées. Il s’agit, d’une part, de la rédaction des annonces et des fiches de postes (jugées trop détaillées et décourageantes), et d’autre part, des comités de sélection mis en place. Comme pour tous les labels, ces comités sont composés de représentants des pouvoirs publics et de la structure porteuse de la SMAC. Ils ne rassemblent donc pas des professionnelles et professionnels du recrutement. Les conduites d’entretiens, le travail demandé aux candidats, les procédures d’adoption des décisions finales sont parfois tributaires de personnalités et d’enjeux extérieurs qui pourraient peser sur la qualité des recrutements et la motivation des postulants.
Nos interlocuteurs et interlocutrices ont également noté une forme de soutien collectif favorisant les prises de poste. La participation aux fédérations et syndicats du secteur est une ressource puissante pour se créer un réseau et trouver de l’aide en cas de besoin. Ces pratiques ont débouché sur des dispositifs plus structurés. Il s’agit par exemple de l’aide proposée par la Fédélima à ses adhérents[17], du programme de mentorat « Wah » mis sur pied par cette même organisation en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes[18], enfin de l’accompagnement à la fonction de direction d’un lieu de musiques actuelles, porté par la Fédélima et le SMA, avec l’appui du CNM[19]. Nos entretiens renvoient une image très positive de ces dispositifs.
Le renouvellement des équipes
« C’est un gros sujet, l’histoire de ma vie dans ce secteur. » (directrice déléguée SMAC)
Qu’il s’agisse de personnes ayant précédemment évolué hors des SMAC, de salariées et de salariés occupant des fonctions de cadres intermédiaires ou de changements en termes de genres, d’âges, de diversité ethnique ou esthétique, le renouvellement des emplois peut avoir de nombreuses vertus. On peut comprendre, à l’inverse, que les équipes puissent paraître vieillir, voire se scléroser. Toutefois, la stabilité des personnels peut traduire un attachement à la structure, la qualité de son ambiance de travail, favoriser un ancrage territorial et une montée en compétence des travailleuses et des travailleurs. Un faible turn over a aussi des avantages et est un signe positif sur la gestion de l’organisation.
La crise sanitaire, l’expérience du télétravail et des interrogations sur le sens des activités au sein des milieux culturels[20] ont conduit à un certain nombre de démissions et donc au remplacement partiel des équipes concernées. Des changements structurels ou matériels (comme un nouvel équipement) peuvent aussi être l’occasion de départs nombreux à l’échelle d’une organisation. En dehors de ces circonstances, les renouvellements se présentent au gré des départs individuels. Les politiques RH évoquées précédemment peuvent avoir pour effet de les limiter. Mais les faibles perspectives d’évolution professionnelle proposées dans chaque SMAC les rendent souvent inévitables. Les directions peuvent d’ailleurs accompagner des projets de formation de leur personnel, en sachant qu’il s’agit de les aider à partir, sans contrepartie au bénéfice de la structure. Enfin, la situation des territoires d’implantation, notamment au regard du marché de l’immobilier, peut avoir un impact fort sur la mobilité des salariées et salariés.
Le renouvellement des équipes des SMAC est donc une réalité et présente des inconvénients, mais aussi des avantages, ce qui amène à nuancer l’ampleur du phénomène. Pour s’assurer que le turn over reste mesuré, celles et ceux que nous avons interrogés ont mis en avant différents moyens de garder un équilibre entre personnels expérimentés et nouvelles recrues.
Le gap générationnel : pas de côté ou grand écart ?
Les SMAC seraient-elles en décalage avec les jeunes générations, et menacées de déclin ou de relégation ? Bien que parfois bousculés dans leur positionnement ou leurs projets, les lieux ne sont pas en rupture. Ni la déferlante numérique ni les nouveaux rapports à la musique et les pratiques de la « Gen Z » (personnes nées entre 1997 et 2010) signeraient un décrochage. Des enjeux persistent, liés aux questions sociétales prégnantes, à l’identification des scènes (« lieux pour boomers », « institutionnalisés » ?) et une stratégie de communication à mettre en phase avec l’évolution des outils et pratiques numériques. Plutôt qu’un « gap » générationnel, parlons d’un « cap » à passer, pour faire le lien entre les premières générations de publics et celles d’aujourd’hui.
Digitalisation de la musique : un complément plutôt qu’un concurrent
Un rapport à la musique renouvelé
« Des lieux et des pratiques “en transition”. » (directrice SMAC)
Les personnes interrogées soulignent l’évolution du rapport des jeunes à la musique, principalement par les formats, les contenus, les communautés. En matière de création, des modes coopératifs (avec sa « communauté ») permettent par exemple de sélectionner sa version ou ses arrangements favoris parmi les propositions de l’artiste. Sur le plan des pratiques, une logique d’autosuffisance notamment n’incite pas les artistes à échanger avec d’autres dans un lieu d’intermédiation comme une SMAC. Concernant la production musicale, il apparaît que « le médium fait le message ». Twitch ou TikTok influencent le format de production (très court, de type gimmick, accrocheur). Pour ce qui est de la diffusion, des concerts sur YouTube ou Fortnite, en streaming (à distance) ou en replay (en différé) enrichissent la définition du « spectacle ». On constate la multiplication de « carrières flash », du home studio au Zénith en mobilisant sa « fan base ». En matière d’écoute — réception et usages des œuvres musicales —, le « zapping » et la logique du « single » prédominent par opposition à la durée d’écoute longue d’un album ou d’un concert. Les pratiques de consommation évoluent également (pas de réservation, dernière minute, pouvoir d’achat limité)[21].
Ces mutations peuvent apparaître comme un grand écart à opérer entre réalité territoriale et virtualité algorithmique dans une forme d’évaporation des publics. Autant de défis dont les SMAC ont pris conscience et qu’elles tentent d’adresser. Par exemple, certaines SMAC que nous avons rencontrées acquièrent du matériel de studio ou d’enregistrement plus adapté à une pratique type « home studio » plutôt qu’un backline classique pour combo rock (batterie, amplis, sono, micros).
Globalement, les espaces médiatiques contemporains prisés des jeunes générations (réseaux sociaux, messagerie, vidéos, plateformes) apparaissent comme un complément plus qu’un concurrent des lieux de musiques actuelles. Ils peuvent alors être perçus comme un enrichissement ou l’opportunité d’un nouveau lien avec ces publics.
L’extension du domaine du concert
« En attente d’une “expérience augmentée”. » (directeur SMAC)
Vivre un concert par l’intermédiation d’un écran peut sembler requestionner l’expérience spectateur[22]. L’évolution des pratiques et l’omniprésence des dispositifs technologiques peuvent, a contrario, constituer un autre rapport au concert comme à l’écoute. La plupart des personnes interrogées soulignent l’attente forte d’une expérience plus large ou « augmentée »[23]. Le spectateur souhaite éprouver l’événement online ou offline, de manière différée, mais aussi partagée avec son réseau. L’expérience augmentée renvoie à ce qui dépasse l’activité centrale du concert (facteurs expérientiels) : accueil repensé, ambiance (playlist ciblée), décor[24], mise en scène/scénarisation, autres activités (boire, manger, se rencontrer, jouer), en essayant d’éviter l’écueil du « concert accessoire » observé par Jérémy Cardot[25]. Les interviewées et interviewés retiennent l’impact de l’« expérience festival » comme fondatrice dans le rapport au live.
De la programmation aux actions : des lieux du lien intergénérationnel
La vocation fédératrice des lieux
« Dialogue intergénérationnel » et « biodiversité artistique » (directeur SMAC)
Les SMAC poursuivent généralement un objectif de diversité en matière de programmation. L’enjeu générationnel s’enchâsse ainsi dans des questions d’esthétique musicale. Si le hip-hop représente l’écrasante majorité de l’écoute des jeunes[26], les SMAC disent ne pas forcément plébisciter ce genre pour fidéliser mécaniquement cette génération. Les programmateurs et programmatrices relèvent souvent une « variétisation » d’une part du hip-hop dans un music business qu’ils réprouvent. Bien que ce genre puisse être rassembleur et intergénérationnel, ils privilégient une programmation « trait d’union entre les générations » en programmant d’autres styles. Le « trad », le dub ou les musiques du monde ont pu être cités.
Le lien avec la génération montante opère par l’accueil de groupes en répétition, en création (résidences), en action culturelle (artistes ou publics), par l’accompagnement des pratiques amateurs. Par leur fonction « tremplin », les SMAC soutiennent les jeunes pousses artistiques et les nouveaux « musicpreneurs »[27], les acculturent à un écosystème musical codifié, capitalisé[28], parfois hostile, et défendent des projets singuliers.
Quelques personnes rappellent enfin la nécessité d’affirmer le positionnement des SMAC dans leur dimension politique et citoyenne. Le vivre-ensemble, la formation du citoyen, l’expressivité, l’émancipation, la découverte des métiers du spectacle sont autant d’actions à vocation pédagogique et libératrice offertes par les lieux aux plus jeunes.
Une génération en attente
Une lente mue sur les questions sociétales
« On se met en ordre de marche. » (directeur SMAC)
La plupart des équipes s’acculturent progressivement à une génération très attentive aux questions sociétales. La transition écologique, la lutte contre les violences sexuelles ou sexistes, l’égalité de genre[29], entre autres, sont des attentes fortes de cette génération. Des décalages entre générations sur ce dernier point sont parfois relevés. Ces problématiques semblent appréhendées diversement en fonction de l’âge et du territoire (urbain ou rural), ce qui peut entraîner des situations conflictuelles. Un rapport au travail différent d’une génération à l’autre pousse également ces sujets en interne (bien-être au travail, conditions salariales, RSE, équilibre vie privée/vie professionnelle, largement mobilisés par les plus jeunes). Pour les SMAC souhaitant conserver la prévalence du projet artistique et culturel cependant, ces questions sont « transversales, mais pas principales ».
De la subversion à la subvention
« L’institutionnalisation des “scènes nationales musiques actuelles”. » (directeur SMAC)
Au cours de nos entretiens a été rappelé le passé transgressif des premiers cafés-concerts, ancêtres des SMAC. Avant eux, des lieux alternatifs, caves, bars, MJC, « salles universitaires amiantées » représentaient une « autre manière de vivre la nuit, la culture, la ville ». Avec leur légitimation, mais aussi leur institutionnalisation progressive, les SMAC sont devenus des lieux « politiquement corrects », « normés », voire « normatifs », « aseptisés », des scènes nationales musiques actuelles[30]. Selon des personnes interrogées, ce passé flamboyant pourrait entrer en résonance avec l’aspiration de chaque nouvelle génération à des pratiques libératrices, émancipatrices et transgressives. Mais les jeunes considéreraient les SMAC comme un lieu emblématique surtout pour leurs parents. Elles doivent alors composer avec cette réputation ou assumer un confort d’écoute et d’assise et laisser d’autres lieux accueillir les jeunes générations. Comme le résume une personne interrogée, les SMAC étaient « auparavant accusées de jeunisme ; désormais, du contraire ».
Globalement, les SMAC n’apparaissent pas déconnectées de la jeune génération (entendue dans toute son étendue et diversité). Elles n’entrent pas dans la « course effrénée à la nouveauté » ou au buzz, tout en restant à l’écoute et en veille. Elles s’attachent à faire évoluer leur communication pour que le lieu ne « vieillisse pas avec son public » et que la personne chargée de cette communication « ne vieillisse pas avec ses propres outils ». Cette stratégie doit habilement articuler l’instantané des réseaux sociaux et le temps long d’infusion du projet artistique et culturel à valoriser.
De l’« effet » à l’« effort » générationnel : prendre la mesure, prendre des mesures
Des orientations stratégiques
« Valoriser des projets ouverts » et « être en dynamique de réseaux ». (directeur SMAC)
Des actions spécifiques sont évidemment imaginées pour les plus jeunes : programmation jeune public, concert du dimanche matin, éducation artistique et culturelle (EAC) de la maternelle au lycée, visite du lieu (familiarisation), comité de programmation avec des étudiants, organisation de concerts par des lycéens (option musique), groupes de discussion WhatsApp, etc. Les personnes interrogées témoignent d’une attention marquée des équipes professionnelles à la reconnaissance de l’expertise des usagers et de leur contribution. La SMAC n’est pas seulement un service à disposition, mais promet bien plus : accompagnement à la répétition, création, enregistrement, vidéo et surtout des capacités à répondre.
Une démarche plus globale que par ciblage d’un public — celle du projet — est revendiquée. L’approche par les droits culturels, les formes de co-construction avec les habitants, l’éducation populaire permettent de défendre avant tout des valeurs d’ouverture et de convivialité plutôt qu’un ciblage ou un clivage des publics. Les SMAC témoignent d’un fort ancrage territorial[31]. De nombreuses actions de collaboration avec un service jeunesse, le CROUS, des centres sociaux, des associations spécialisées (en cultures urbaines par exemple) sont souvent citées. La coopération, l’échange de bonnes pratiques, l’observation partagée[32] sont autant d’opportunités d’impliquer ces publics : groupes de travail, mesures, formations, actions spécifiques, croisement avec des recherches académiques, rencontres professionnelles, groupes de parole, hackathon.
Retour sur soi
« Se réinterroger sur ce que sont les SMAC » et « s’adapter » (directeur SMAC)
Disposer d’une équipe mixte en âge dont certains membres font partie de la Gen Z (salariés, mais aussi bénévoles, stagiaires, étudiants en apprentissage) apparaît comme essentiel et largement partagé. Un autre enjeu serait de favoriser la place de représentants moins âgés dans les instances (conseils d’administration, assemblées générales, comités de suivi). S’adresser aux plus jeunes suppose probablement de « coller à leurs valeurs et pratiques » : programmation paritaire (sur scène et en « lead »), conformité en matière de violences et de harcèlements sexistes et sexuels (VHSS) et conditions de sécurité pour l’équipe et les publics, pratiques plus écologiques[33] (« décarbonation, green rider, slow touring, catering vegan »), accueil adapté d’artistes émergents, intégration des questions sociétales au projet du lieu.
Actualiser les outils, dispositifs et espaces participe à réduire l’écart avec les jeunes : que ce soit l’organisation de stages, de master classes, de créations numériques, ou les initiatives qui visent à imaginer un prolongement du lieu physique « IRL » en espace numérique (lien direct entre artistes programmés et leur communauté, ressources numériques pour accompagner l’émergence, favoriser la coopération).
Un travail de veille est généralement mené au sein des SMAC concernant leurs publics. Parfois intuitif (« par ressenti », « par habitude »), parfois plus formalisé par des études externes ou internes[34], il permet dans ce cas de disposer de données assez précises sur les évolutions sociodémographiques des publics.
Enfin, back to basics :retrouver une forme de subversion, développer des projets de « SMAC canaille » semble une source possible d’attractivité pour ces générations. Élément clé de la construction et de l’émancipation individuelle, le caractère indiscipliné, « incontournable de l’esprit des SMAC » et leur tropisme alternatif pourraient séduire les générations lasses d’un monde trop policé.
Quel avenir pour le label et le « modèle » SMAC ?
Label et « modèle »
La dernière partie de ce rapport concernera à la fois le label et le « modèle » SMAC. Le label fait référence à la politique des labels du ministère de la Culture. Longtemps mise en œuvre de façon relativement empirique, elle ne s’est structurée qu’au cours des années 2010, après l’adoption de la loi Liberté de la création, architecture et patrimoine (LCAP) du 7 juillet 2016 et la publication du décret[35] et des arrêtés[36] qui l’ont précisée. Par « modèle », nous désignerons ici les éléments concernant la conception architecturale des SMAC. Les réflexions sur un label comme sur des équipements adaptés ont été amorcées durant les années 1990. Trente années plus tard, comment les directeurs et directrices de SMAC envisagent-ils l’avenir du label et du « modèle » ?
Un label confirmé
« Le label est une conquête. On devrait en être fiers. » (directeur SMAC)
Après le vote de la loi LCAP, l’adoption du cadre réglementaire des labels obligea à arbitrer entre la reconnaissance des spécificités de chacun et la définition d’un cadre commun. Lors de nos entretiens, nos interlocuteurs et interlocutrices n’ont toutefois pas mis en cause le compromis qui en résulte et n’ont jamais souhaité que soit mise en chantier une réécriture du Cahier des missions et des charges (CMC) des SMAC. Un attachement fort existe d’ailleurs pour les trois axes le caractérisant : la création/production/diffusion de musique ; l’accompagnement des pratiques musicales professionnelles et amatrices ; l’action culturelle. On l’a vu, la normalisation des procédures de recrutement aux directions suscite quelques réserves. La structure plus politique que professionnelle des comités en est une cause. Une certaine lourdeur ainsi que l’affaiblissement des structures porteuses, perdant à cette occasion leurs latitudes d’employeurs, sont également soulignés. Mais en aucun cas, ces impacts de la standardisation des SMAC ne conduisent à envisager un nouveau texte porteur d’une différenciation accrue du label.
Une barque trop chargée ?
« On peut toujours négocier dans un PAC[37] à quel degré on répond au vaste catalogue des missions du label. » (directeur SMAC)
Nombre d’entretiens ont été l’occasion de souligner l’écart plus que sensible entre les moyens alloués par l’État et le vaste catalogue des missions et des charges. Les collectivités territoriales jouent alors un rôle essentiel, à travers leurs propres conventionnements pluriannuels, voire via les délégations de service public, pour que les SMAC disposent des ressources permettant la mise en œuvre de leurs projets. Les comités de suivi, rassemblant tous les partenaires publics, jouent pour ce motif un rôle clé de coordination. Si de façon générale ils se déroulent de façon satisfaisante, des variations apparaissent d’une région à l’autre et ce sont souvent les directions des SMAC qui veillent à leur tenue régulière. Surtout, les CMC sont la base à partir de laquelle chaque structure définit son projet artistique et culturel (PAC), projet dont le directeur ou la directrice doit préciser lors de son recrutement comment il sera mis en œuvre. Ce travail d’adaptation d’un texte général à un contexte particulier rend soutenable le respect du CMC et explique en grande partie sa faible mise en cause.
Il est probable qu’à l’avenir les dispositions sectorielles, comme celles concernant les labels, soient de plus en plus articulées à la stratégie transversale de l’État en matière de transition écologique[38], ainsi qu’à ses déclinaisons dans des conventions territoriales[39] et probablement des appels à projets relativement lourds pour ces structures. La plupart de nos entretiens ont d’ailleurs été l’occasion d’évoquer le travail de reporting demandé par les services de l’État. Une certaine dextérité, voire une routine, dans l’accomplissement de cette tâche, en plus du sentiment accepté de devoir rendre des comptes sur sa gestion atténuent là encore sensiblement les critiques. La seule réserve[40] porte sur une certaine rigidité de l’exercice, et des dialogues avec quelques DRAC, du fait de documents jugés trop peu contextualisés et parfois même inadaptés aux SMAC.
La reconnaissance inachevée des missions d’intérêt général
« C’est une ligne de front. On est un service public ! » (directrice SMAC)
Par-delà les dispositions précises qui le forment, le label compte souvent plus par les usages politiques qui peuvent en être faits. Il apparaît alors comme un acte symbolique portant reconnaissance de l’intérêt général du projet. C’est ce pouvoir symbolique qui en fait le prix, tant pour les structures labellisées que pour celles qui ambitionnent de l’être. Toutefois, plusieurs témoignages ont indiqué que, dans plusieurs villes, la SMAC apparaît plus alors à un équipement municipal qu’à l’instrument d’une politique d’État. Le poids des autorités locales dans le financement de ces projets peut expliquer ici une moindre attention au cadre national que constitue le label. De même, la visibilité des activités de diffusion et l’impact de celles-ci sur la conception et l’image des équipements paraissent faire de l’ombre aux missions d’accompagnement et d’action culturelle.
L’attachement au label trouve aussi sa source dans le fait qu’il formule un projet d’intérêt général auquel nos interlocuteurs et interlocutrices déclarent adhérer pleinement. Il en est parfois fait usage pour rappeler à qui pourrait l’oublier — autorités locales ou organisations privées (associations ou entreprises de spectacles) — les principes et obligations guidant leurs choix et priorités.
La reconnaissance que porte la labellisation n’est donc pas un fait acquis. Elle doit être défendue et ne semble jamais pleinement assurée. Son renforcement supposerait selon certains avis une plus grande attention aux missions des SMAC pour la création artistique. Diversement investies par les acteurs et actrices des musiques actuelles, elles sont en revanche surtout valorisées par les services de l’État. Or, les moyens alloués par ces derniers ne permettent guère de les mettre en œuvre. Leur donner à l’avenir plus de place et de ressources permettrait pour beaucoup de mieux intégrer les SMAC parmi les autres labels du spectacle vivant. D’autres penchent plutôt pour une meilleure reconnaissance de leurs activités en faveur d’artistes en émergence. Cela pourrait se traduire par un rôle proche de celui de producteur ou productrice de spectacles investissant dans des artistes ou des œuvres. C’est un vieux débat, très controversé, parfois formulé en termes de « droit de suite », qui aspirerait à une plus grande visibilité de leur rôle dans la découverte de certains artistes et une récupération partielle des moyens financiers engagés en leur faveur.
Faut-il tout labelliser ?
« Le label ne sert à rien sans les autres. » (directrice déléguée SMAC)
Enfin, nos échanges ont fait apparaître des interrogations sur des usages d’un label unique recouvrant des situations hétérogènes. Avec plus de quatre-vingt-dix structures labellisées dans des territoires divers, dotées d’équipements de dimensions et moyens variables, le label SMAC présente au concret une forte hétérogénéité. La non-labellisation de certains projets (exerçant pourtant des missions de SMAC) ainsi que des labellisations en cours depuis plusieurs années font que la distinction avec les « labellisés » est peu sensible. En outre, les pratiques de coopérations territoriales à l’origine des SOLIMA[41], comme des contrats de filière[42], débordent les seules structures labellisées.
Tout cela conduit plusieurs de nos interlocuteurs et interlocutrices à interroger ce système binaire (labellisé versus non labellisé) pouvant laisser des structures à l’écart des politiques d’État alors qu’elles jouent un rôle sensible dans les écosystèmes culturels territoriaux. Reste à savoir s’il faudrait se diriger, comme cela avait été envisagé puis rejeté au début des années 2000, vers une organisation en différentes strates de SMAC ou vers l’intégration de certains lieux et projets dans d’autres catégories comme les lieux intermédiaires et indépendants[43] ou les tiers lieux.
Le modèle et ses défis
Les SMAC sont nées pour donner une place et des lieux à des pratiques musicales qui s’étaient progressivement installées dans les marges (locaux mal adaptés ou sous la menace de fermetures pour nuisances sonores). Issus pour partie du programme des Cafés-Musique au tournant des années 1990, les lieux consacrés aux musiques actuelles se sont développés avec l’appui principal des collectivités territoriales, certains obtenant dès leur création leur labellisation. Les configurations architecturales ont retenu l’usage principal d’espaces en places « debout », la présence de locaux de répétition, voire d’enregistrement, et d’un bar dans les salles de concert ou proche de celles-ci. Ces configurations sont néanmoins de tailles extrêmement variables d’un lieu à l’autre.
Le défi architectural
« Pour une partie, ce sont des SMAC vides. C’est froid, fermé, sauf en concert. Je n’aime pas, je ne m’y sens pas bien. » (directrice déléguée, SMAC)
Ces bâtiments devaient permettre la bonne mise en œuvre des missions des SMAC (diffusion, accompagnement et action culturelle). Ils devaient aussi favoriser une forme de sociabilité : rencontres entre musiciens ou musiciennes d’une même scène locale, professionnelles et professionnels ou amateurs et amatrices ; accueil des publics avant, pendant ou après les concerts autour des bars ; ouverture parfois toute la journée à des usagers divers (artistes en résidence, amateurs et amatrices en répétitions, scolaires dans le cadre d’actions culturelles, etc.).
Au fur et à mesure des années, une certaine compétence s’est développée au sein des services de collectivités, dans les milieux professionnels, chez les programmistes et architectes[44]. Des équipements de la première génération, pour partie insatisfaisants, ont pu bénéficier de rénovations, d’extensions, voire d’un nouveau lieu, permettant de dépasser leurs limites initiales. Dans tous les cas, le défi architectural est au moins double : produire un bâti au service d’un projet et conduire le projet architectural sans que les équipes des SMAC perdent la main sur la conception du bâtiment. La plupart des témoignages reçus font état de nettes améliorations sur ce point, laissant promettre à l’avenir une raréfaction des équipements problématiques.
Le défi de la diffusion
« Le principal n’est pas la diffusion, mais le reste. » (directrice SMAC)
La diffusion est la plus visible des activités des SMAC[45]. Il n’est donc pas surprenant que les équipements soient principalement conçus pour la servir. En revanche, nos entretiens ont montré les difficultés à y inscrire les activités de médiation et d’action culturelle. Près de 80 % d’entre eux sont équipés pour des répétitions, 50 % pour des enregistrements[46], mais la plupart manquent de lieux pour l’accueil de scolaires par exemple, pour des animations diverses, sans parler d’une mise en œuvre des droits culturels et donc d’espaces où des personnes pourraient dialoguer, construire des projets, développer leurs capacités.
Par ailleurs, privilégier les salles de concert s’est souvent fait au détriment des espaces de convivialité. Certains de nos entretiens ont pointé un besoin de halls plus importants. L’expérience des festivals chez beaucoup de spectateurs et de spectatrices, notamment les plus jeunes, conduit les directions des SMAC à repenser leurs programmations pour faire de chaque date un événement, soigner l’accueil du public, lui offrir des « à-côtés » du concert et répondre à des besoins de sociabilité. Ces aspirations devront à l’avenir pouvoir trouver leur place dans la conception des équipements, rénovés ou construits.
Le défi des tiers lieux
« Il y a beaucoup de vie. Mais ce n’est pas tout à fait un tiers lieu. » (directrice SMAC)
Le modèle SMAC est donc interrogé moins pour le mettre en cause que pour donner plus d’effectivité, dans des locaux adaptés, à l’intégralité des missions prévues par le label. Ces équipements avaient souvent été imaginés comme des lieux vivants et permanents. Le bâti et la localisation en ont fréquemment décidé autrement même si, pour certains, la dimension de « lieu de vie » est une réalité.
Nos entretiens n’indiquent pas que le projet de les faire évoluer en « tiers lieux » ait une assise réelle parmi les directeurs et directrices interrogés. Beaucoup ont pris une nette distance vis-à-vis de la vogue qui les porte, s’interrogent sur leur définition, voire leur singularité. Surtout, elles ou ils ne souhaitent pas renoncer à l’axe musical structurant toutes leurs activités. Ne pas donner à la diffusion une place écrasante ne signifie pas pour ces directions l’abandon de tout ce que les pratiques musicales peuvent susciter en termes d’échanges, de rencontres, d’épanouissement.
Si le modèle des SMAC doit favoriser une certaine diversification des activités, il doit conserver une identité musicale forte. La musique étant ici remise dans son contexte social et abordée comme produit d’interactions qu’il s’agit de favoriser, y compris par des bars ou des restaurants. La possibilité d’attirer des personnes moins tentées par des concerts que par un cadre, une ambiance, peut aussi avoir des effets bénéfiques sur les recettes de la structure. Les implantations de restaurants, ainsi que des formes de privatisation, sont le plus souvent envisagées positivement quand elles ne sont pas déjà mises en œuvre. Reste que cette diversification d’activités, comme des amplitudes d’ouverture plus importantes, avant de permettre des recettes nouvelles, signifie des charges supplémentaires que nombre de structures ne peuvent actuellement pas absorber.
Conclusion
« L’objectif est que les personnes qui passent la porte puissent y faire plein de parcours différents, se réaliser…, des parcours d’émancipation » (directrice, SMAC)
Les questions posées dans cette « onde courte », en s’articulant les unes aux autres, formaient un scénario plein de menaces : peinant à recruter, les SMAC seraient vouées à un vieillissement sensible de leurs équipes comme de leurs projets brutalement confrontés à des générations de publics et d’artistes de plus en plus éloignées. Leur cahier des missions et des charges serait donc à revoir pour limiter cette rupture générationnelle…
Les entretiens que nous avons menés ne confirment pas ces menaces. Les problèmes de recrutement semblent dépassés. L’attention aux nouvelles générations suscite des réponses innovantes et équilibrées. Le label n’est pas fondamentalement remis en cause. Faire des espaces alloués de véritables lieux de vie est parfois une réalité, parfois encore un projet. Mais la plupart de celles et ceux que nous avons questionnés ont parlé d’un modèle envié à l’étranger, par la qualité de ses équipements comme de ses équipes.
Une inquiétude traverse cependant les propos reçus lors des entretiens. Les contraintes budgétaires pesant sur les SMAC comme sur leurs partenaires publics risquent de mettre en péril, parmi leurs missions, celles qui relèvent le plus de l’intérêt général et parfois du service public. Subsisterait seulement la diffusion de plus en plus mise en œuvre selon les principes du marché, renonçant ou limitant sa responsabilité à l’égard des artistes « émergents ».
Face à cet autre scénario, le défi des personnes interrogées est celui d’un projet dont l’axe politique doit être réaffirmé et financé afin d’éviter un glissement vers des priorités avant tout économiques. Conjuguer l’accès à des références artistiques (même émergentes) et le soutien à l’expressivité (au « faire »), découvrir et se réaliser, se relier et développer un esprit critique forment un ensemble d’objectifs respectueux des droits culturels. Ils dessinent un devenir des SMAC où ce rouage clé de la filière musicale constitue également un outil de transformation sociétale.
[1] Voir décret du 21 février 2024 portant annulation de 10 milliards d’euros de crédits pour l’État : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049180270.
[2] « Il faut recréer de l’envie autour des SMAC », entretien avec Yann Bieuzent, président Fédélima, News Tank Culture, 17 avril 2023 ; « Les difficultés de recrutement à la direction des SMAC », News Tank Culture, 16 novembre 2023.
[3] Voir à ce sujet : « L’Observation Participative et Partagée (OPP) », Fédélima. Pour une analyse plus générale de ces pratiques : Guibert G., « Détourner le contrôle ? Le cas de la Fédération des lieux de musiques actuelles », Sociologies pratiques, vol. 22, no 1, 2011, p. 79-92.
[4] Devenir toutefois abordé lors d’un séminaire de la Direction générale de la création artistique du ministère de la Culture (DGCA) et Fédélima en juin 2023 : « Retour sur le séminaire sur l’évolution du label des SMAC – Scènes de musiques actuelles », SMA.
[5] Décret no 2017-432 du 28 mars 2017 relatif aux labels et au conventionnement dans les domaines du spectacle vivant et des arts plastiques.
[6] Scènes de musiques actuelles (culture.gouv.fr).
[7] D’un usage courant, la notion de génération est très discutée en sciences sociales, notamment dans la distinction entre âges et générations, appelant à se défier de son usage courant. Voir Mauger G., Âges et Générations, La Découverte, 2015.
[8] « Comment expliquer les difficultés de recrutement ? », Radio France, 17 décembre 2021 ; « Tensions dans le recrutement dans le secteur culturel », LeJournaldesArts.fr, 22 avril 2022 ; « Les pénuries de personnels inquiètent le secteur », La Lettre du spectacle, no 520, 15 juillet 2022.
[9] « La “Grande Démission”, le mouvement qui inquiète aux États-Unis », Les Échos, 25 octobre 2021.
[10] « La France vit-elle une “Grande démission” ? », Dares, 11 octobre 2022.
[11] « Communiqué. La Fédélima et le SMA lancent en partenariat avec le CNM un parcours d’accompagnement à la fonction de direction d’un lieu de musiques actuelles », SMA, 9 novembre 2022.
[12] Étude « Emploi permanent dans les lieux de musiques actuelles ». Elle comprendra notamment un focus sur les directions (recrutements ces quatre dernières années).
[13] « Labels nationaux : les crédits sur 5 ans », La Lettre du spectacle, 13 novembre 2023.
[14] Ces propos ont été largement confirmés pendant nos entretiens. Voir aussi : « Les cabinets d’experts-comptables peinent à recruter », Option finance, 6 janvier 2023.
[15] « Campagne “C’est la base” à destination des jeunes de 17-25 ans », Santé publique France, 25 septembre 2023.
[16] Le SMA (a été) lauréat de l’appel à projets du Fonds pour l’amélioration des conditions de travail (FACT) 2023 « Améliorer l’attractivité des entreprises en agissant conjointement sur les conditions de travail et d’emploi ». Avec cette aide du FACT, mais également de l’Assurance formation des activités du spectacle (AFDAS), d’Audiens, du Centre national de la musique, du ministère de la Culture et de Thalie Santé, le SMA va lancer en 2024 une expérimentation ambitieuse centrée sur l’optimisation des conditions de travail dans le secteur des musiques actuelles : le Pacte EMMA (Pour une Action Collective dans le Travail et l’Emploi : Ensemble, repensons les Métiers des Musiques Actuelles). Pendant deux ans, vingt et une entreprisesreprésentatives de la filière bénéficieront d’un accompagnement individuel et collectif pour réfléchir et agir en faveur de l’évolution des conditions de travail. À l’issue de ces deux ans, les entreprises participantes au projet formaliseront les enseignements de cette expérimentation et proposeront une boîte à outils destinée à transmettre l’expérience acquise au-delà du secteur des musiques actuelles : vidéos, fiches pratiques, podcasts… Le Pacte EMMA a été lancé en février 2024 à l’occasion d’un hackathon de deux jours afin de travailler collectivement vers un nouvel équilibre en améliorant les conditions de travail et l’emploi. « Attractivité & QVCT », SMA.
[17] « Accompagnement des adhérents », Fédélima.
[18] WAH ! La plateforme ressources pour l’égalité et la diversité dans les musiques.
[19] « Accompagnement à la fonction de direction d’un lieu de musiques actuelles », Centre national de la musique (CNM).
[20] Négrier E., Teillet P., Les Trois Chocs culturels du Covid-19, Le Virus de la Recherche, PUG, 2020 (en ligne).
[21] Voir l’étude Ipsos pour le CNM sur les Français et la musique, notamment les jeunes : « Baromètre des usages de la musique en France », Centre national de la musique (CNM).
[22] Voir l’étude du CNM, « L’expérience des spectacles musicaux ».
[23] Demange D., « Le public attend de nous autre chose que la seule qualité des concerts », News Tank Culture, 12 avril 2023.
[24] Pour Loïc Riom, « les salles et les festivals admettent se concentrer sur la création d’expériences partageables sur les réseaux — “instagrammables” ». Riom L., Musique live et Génération Z, Enjeux et perspectives, Onde courte, CNM, 2023.
[25] Cardot J., L’Environnement des scènes de musiques actuelles. Étude des tactiques et des stratégies d’implantation de deux scènes de musiques actuelles franc-comtoises, thèse de sociologie et anthropologie, Université Bourgogne Franche-Comté, mars 2021. Le « concert accessoire » est vu comme un « spectacle ou événement dans une SMAC dont l’activité principale n’est plus le concert, mais une soirée thématique (mangas, jeux vidéo) composée d’ateliers, de rencontres et “accessoirement” d’un concert ».
[26] En 2019, le hip-hop est le genre musical préféré des jeunes de 12 à 18 ans (75,2 %), loin devant la chanson pop (46,2 %) et l’électro (28,4 %), voir « Baromètre Jeunes, musique et risques auditifs », Agi-son.
[27] Sur la « montée en puissance des intérêts économiques et des contraintes gestionnaires », lire Sinigaglia J. « De la bohème à l’organisation scientifique du travail : la diffusion des pratiques néo-managériales chez les musiciens », Volume ! 18 : 1, 2021, p. 67-79.
[28] Sur les « nouvelles formes d’organisation et d’exploitation du travail », lire Kaiser M., « La valeur de la musique à l’ère du capitalisme cognitif », Volume !, 20 : 1, 2023, p. 19-31.
[29] Grumet A., « Arts et culture : l’éga-conditionnalité pour garantir l’égalité entre les femmes et les hommes », L’Observatoire, vol. 56, no 2, 2020, p. 33-36. L’étude « Chiffres clés et évolution des SMAC – Scènes de musiques actuelles », Fédélima, 2023, compte 20,5 % de directrices ou codirectrices de lieux de musiques actuelles, 17,4 % de femmes sur scène en 2019.
[30] Jean-Christophe Aplincourt évoque le passage « de la contre-culture à l’upperground » dans Aplincourt J.-C., « Homo Musicalis », Volume !, 17 : 2, 2020, p. 255-271.
[31] Voir le rapport de l’Inspection générale des affaires culturelles de mars 2023 : « L’action des labels de la création dans les zones rurales », en ligne le 22 janvier 2024.
[32] Les SMAC ont, de longue date, engagé des évaluations et observations en commun, à leur propre bénéfice et pour nourrir les plaidoyers en faveur des musiques actuelles.
[33] Delotte F., « La culture passe-t-elle enfin au vert ? », NECTART, vol. 13, no 2, 2021, p. 142-151. Voir également : « Footprints, sustainable music across Europe » (lieux de musiques actuelles et festivals).
[34] Études de publics, menées par certaines SMAC que nous avons rencontrées, études à l’échelle nationale ou européenne, menées par la Fédélima, le SMA ou Live DMA.
[35] Décret no 2017-432 du 28 mars 2017 relatif aux labels et au conventionnement dans les domaines du spectacle vivant et des arts plastiques.
[36] Notamment : Arrêté du 5 mai 2017 fixant le cahier des missions et des charges relatif au label « Scène de musiques actuelles – SMAC ».
[37] Projet artistique et culturel.
[38]« Plan de transformation écologique de l’État », Direction interministérielle de la transformation publique, publié le 28 mars 2024.
[39] Comme les Contrats pour la réussite de la transition écologique, « Le CRTE, un contrat au service des territoires et de la mise en œuvre de la planification écologique », Agence nationale de la cohésion des territoires.
[40] Sans parler du travail que peuvent demander parallèlement les collectivités territoriales partenaires…
[41] « Schéma d’orientation et de développement des musiques actuelles (SOLIMA) », ministère de la Culture.
[42] « Les contrats de filière musiques actuelles… De quoi parle-t-on ? », Le Pôle de coopération pour la filière musicale en Pays de Loire, 7 février 2018.
[43] « L’irréductible originalité collective des lieux intermédiaires et indépendants », Observatoire des politiques culturelles (OPC), 2 février 2023.
[44] Voir le document réalisé autour de la création du Quai M (La Roche-sur-Yon) : Hallauer E., Vallvé J., Écouter/Assembler, éd. B42, 2022.
[45] 71 soirées, 125 artistes, 19 395 entrées par salle et par an en moyenne en 2019, Fédélima – ministère de la Culture, Évolution des SMAC, 2023, p. 3.
[46] Idem.